Les réseaux sociaux, illustration de la cohésion fragile des juifs de France

cohesion

Peut-on parler véritablement d’une communauté juive en France?
Une communauté soudée par un certain nombre des valeurs et dont les membres seraient solidaires les uns des autres.
Même si cela est difficile à évaluer, nous pouvons affirmer qu’il existe une communauté juive en France même si celle-ci n’est pas nécessairement organisée, structurée et homogène.
Des éléments concrets (pratique religieuse, vie communautaire, langue…) et abstraits (histoire, conscience collective, transmission, éducation) sont constitutifs de cette communauté.
Qu’en est il de la cohésion communautaire en France?
Les groupes et pages Facebook créés autour d’un ou plusieurs thèmes liés au judaïsme, peuvent clairement donner des indices.

Certains groupes connaissent de nombreuses dérives qui témoignent de la fragilité voire de l’illusion d’une unité entre juifs, pourtant rassemblés autour d’un même thème ou d’une même idée. Bagarres virtuelles à coups de commentaires acerbes, conflits de personnes, attaques personnelles en public ou en privé, départs du groupe, lynchages collectifs à plusieurs contre un, parfois délation. Cela n’est pas exagéré et même si tout ceci reste dans le domaine d’un virtuel qui lève les inhibitions, la violence est indéniable.

Au début de la création d’un groupe Facebook, on constate très souvent une période de quasi-euphorie liée à la nouveauté et parfois à l’illusion que ce groupe va réellement changer quelque chose dans la vie des gens.
Cette période d’euphorie laisse logiquement la place à une période de lassitude qui précède parfois une période de tensions qui deviennent chroniques.
Il est assez naïf de croire qu’un groupe Facebook puisse réaliser l’unité entre ashkénazes ou séfarades, permettre aux célibataires de trouver l’âme soeur ou éradiquer l’antisémitisme…
Une communauté virtuelle ne peut pas dépasser les compétences d’associations structurées et organisées, bien qu’elle puisse en être en relai. Toutefois en libérant la parole des internautes, les réseaux sociaux mettent parfois plus clairement en évidence les problématiques des juifs de France.

Quelles sont les causes de ces tensions qui ne sont donc pas spécifiques aux réseaux sociaux mais révélatrices de l’hétérogénéité de la communauté.

Des différences religieuses: laïcs, juifs orthodoxes, massortis, libéraux etc…
Notons que ces tensions peuvent apparaitre dans des groupes dont le thème n’a pourtant pas de lien direct avec la religion. Par exemple j’ai assisté à un affrontement entre religieux et laïcs dans un groupe consacré à a gastronomie juive…

Des différences politiques: juifs de gauche, de droite, sionistes, non-sionistes (voire anti-sionistes). Les tensions s’expliquent par l’importance de la sensibilité politique des juifs français dans un contexte parfois difficile en France.

Des différences sociales: contrairement à l’idée antisémite que les juifs seraient tous riches, on constate parfois des divergences entre juifs de milieux sociaux différents. L’appartenance sociale est rarement affichée (il n’y a pas de guerre des classes entre juifs) mais elle est sous-jacente.

Des différences hommes/femmes: pas de guerre des sexes non plus à l’intérieur de la communauté mais des propos misogynes et sexistes sont parfois relevés sur certains groupes. Rien de spécifiquement juif mais rien non plus favorisant la cohésion communautaire.

Des différences générationnelles: elles se manifestent souvent par un effacement des plus jeunes au profit des plus vieux dans les groupes où ces derniers sont majoritaires ou dans les groupes dont le thème n’est pas attractif pour les jeunes. L’inverse existe évidemment.

Des différences de personnalités: les administrateurs ont parfois des difficultés pour ménager les susceptibilités des uns et des autres. Ces incompatibilités psychologiques amènent parfois à des véritables clashs pouvant conduire à la fermeture d’un groupe (sur un groupe ashkénaze, un administrateur s’est retiré de son propre groupe).
Impulsivité, susceptibilité, intolérance, lâcheté, complexe de supériorité etc…
Autant de traits de caractères négatifs que l’on ne soupçonnait pas forcément chez nos coreligionnaires et que Facebook a mis en lumière.

Le rôle primordial de l’administrateur.
Les administrateurs ont des comportements différents concernant la gestion de leur groupe.
Certains sont très ouverts et privilégient la démocratie à l’intérieur de la communauté. Cette attitude à des effets à double tranchant; favorisant les échanges interactifs mais aussi les éventuels conflits entre les membres. D’autres optent pour une gestion plus directive ce qui limite fortement les dérapages mais aussi la liberté d’expression.

Le thème du groupe fédérateur ou propice à la division.
Les conflits peuvent survenir dans tous les groupes mais on constate moins de conflits dans les groupes dont les thèmes sont précis et concrets.
Un groupe consacré à la langue Yiddish générera moins de tensions entre ses adeptes qu’un groupe consacré à l’identité ashkénaze en général.
De même une communauté virtuelle aidant ses membres à préparer leur Alya ne connaitra pas les mêmes divisions qu’un groupe traitant de la politique israélienne.
Plus on se rapproche du général et du conceptuel au détriment du spécifique et du concret, plus on augmente les risques de querelles.

Quels enseignements peut-on tirer de cette analyse des communautés juives virtuelles?
Rassurons nous. Les divisions entre juifs sont plutôt les signes d’une bonne santé de la communauté et de son esprit démocratique. Une communauté homogène dont les membres penseraient de la même façon, dans laquelle les divergences d’opinion n’existeraient pas, devrait nous alerter sur une probable radicalisation et sur un sectarisme dangereux.
Il n’en est rien…
Toutefois, les juifs qui peuvent s’enorgueillir de leur remarquable esprit critique, ne doivent pas s’essouffler dans des luttes intestines surtout en cette période difficile.
L’unité parfaite du peuple juif est une utopie vers laquelle il faut tendre malgré tout.
Plutôt que de tenter de rassembler les juifs autour d’idées, de concepts, d’identités ou de projets aussi larges que nébuleux, essayons de donner à chaque juif une place dans la communauté en tenant compte des différences.
Cela peut passer par la création d’associations, de groupes ou de tout autre structure formelle ou informelle, proposant aux juifs d’agir concrètement dans des domaines qui les intéressent.
En outre, ces activités épanouissantes permettront probablement d’atténuer les tensions entre des juifs d’horizons divers et d’opinions différentes.
Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la vie réelle…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *