Les Glouk, des juifs comme les autres
Jérémy qui appartient à la troisième génération ashkénaze, dans le livre « La Vie des Glouk »
« On gère trois culpabilités. Nos grands-parents se sentent coupables parce qu’ils ont survécu à la Shoah, nos parents se sentent minables parce qu’ils n’ont pas vécu la Shoah et nous, on n’a même pas fait Mai‑68 ! «
Article du journal La Croix
Les Glouk, des juifs comme les autres
Laurence Péan, le 13/07/2017 à 8h04
CRITIQUE DE LIVRE. La chronique intimiste et drôle d’une famille juive ashkénaze dans la France d’aujourd’hui.
Quel héritage laisser à ses enfants dans un monde où les juifs ne sont plus à la mode, se demandent Victor et Ety Glouk.
La Vie des Glouk, de Nelly Wolf, Pont 9, 335 p., 19,90 €
Les Glouk, un nom qui sonne comme une onomatopée pour une famille de juifs ashkénazes, une famille attachante d’intellectuels parisiens pas toujours en phase avec l’époque. Victor est sociologue – il travaille à un corpus du witz yiddish, un recensement de bons mots et d’histoires drôles qui ne font rire personne –, Ety enseigne le français mais s’entête à apprendre l’hébreu.
Ils ont trois enfants, Coraline, Lou et Jeremy, témoins souvent impuissants des mésaventures et autres disputes, surtout en voiture, de leurs parents. Et puis il y a toute la tribu de grands-parents, oncles, tantes, cousins…
Chacun des vingt-six chapitres de ce roman – comme autant d’épisodes d’un feuilleton – embarque le lecteur dans toute une série de tribulations.
Des situations cocasses et humoristiques
On randonne avec Victor et Ety en Aveyron, tous deux affublés d’un équipement mal adapté, on s’invite chez leurs cousins ultraorthodoxes de Belleville où chaque repas vire au psychodrame, on sillonne Berlin à la recherche d’« une vie juive » censée renaître dans la capitale allemande, les guides sont formels là-dessus, on se fâche avec le frère d’Ety qui refuse de venir à la bar-mitsva de Jeremy, on s’allonge avec Ety sur le divan de son psy qui soupire, « quand elle met son tailleur vert, elle parle de sa mère »…
Autant de situations cocasses, décrites avec tendresse et humour, derrière lesquelles affleure l’unique question qui taraude les Glouk : quel héritage laisser à nos enfants dans un monde où les juifs ne sont plus à la mode.
« Se débarrasser de nos conduites addictives juives »
Le roman s’ouvre sur un rêve commun à Ety et Victor : une réunion chez les AA, les Askhénazes anonymes, pour tenter de « se débarrasser de nos conduites addictives juives, telles que le ressassement de la Shoah, le sentiment d’insécurité, la dépendance au pastrami et autres judéomanies… pour vivre pleinement dans la République et dans la nouvelle Europe. »
Il se termine par celui de Jeremy, lui aussi invité à s’exprimer aux AA, en tant que représentant de la troisième génération. « On gère trois culpabilités. Nos grands-parents se sentent coupables parce qu’ils ont survécu à la Shoah, nos parents se sentent minables parce qu’ils n’ont pas vécu la Shoah et nous, on n’a même pas fait Mai‑68 ! »
Ce roman est le troisième publié par les jeunes éditions du Pont 9, créées en janvier 2017, après Cette infortune de Maxime Cochard, et À l’ombre de la guerre de Dominique Moaty. La particularité du Pont 9 : être une maison d’éditeurs, plutôt que d’édition, chaque manuscrit publié étant proposé et travaillé par un éditeur, de métier, de plaisir ou d’occasion.
Laurence Péan