Entretien avec Dina, jeune juive ashkénaze engagée dans l’armée française

Ashkénaze Francophones s’est intéressé à Dina qui a gentiment accepté de répondre à nos questions pour nous expliquer son parcours atypique et son engagement pour la France.

Bonjour, peux-tu te présenter ?

Bonjour, j’ai 26 ans, je suis née à Marseille, je vis à Aix-En-Provence et j’occupe deux emplois, un dans le domaine civil au sein d’un lycée et le second dans le domaine militaire en tant que réserviste opérationnelle de l’armée de Terre.

Pratiques-tu le judaïsme ?

Je considère ma pratique du judaïsme comme étant « traditionaliste », j’ai un rapport très personnel avec cette religion et je célèbre les fêtes les plus importantes du calendrier juif.

As-tu grandi dans un milieu juif ?

J’ai grandi au sein d’un « milieu juif » que ce soit au sein de ma famille ou de mes amis.

Aujourd’hui fréquentes-tu la communauté juive ?

Je baigne quotidiennement dans un « univers juif » mais je ne le fréquente pas exclusivement. Je dirais même que je côtoie davantage d’amis non-juifs que juifs mais je suis toujours très vite ramenée à la « réalité juive » 

Tu milites au sein d’une organisation juive politique, religieuse ou culturelle ?

Plus jeune j’ai milité au sein d’organisations juives mais j’ai cessé tout investissement.

Quel est ton positionnement politique ?

Je suis foncièrement de gauche, baignée par l’utopie communiste très jeune mais plus tard encartée au sein d’un parti hors clivage droite/gauche.

Quand es-tu rentrée dans l’armée ?

Je suis engagée depuis environ trois ans.

Quelles sont tes missions en son sein ?

Mes missions sont très diverses, allant de la protection du territoire national dans la lutte contre le terrorisme, au secours de la population en cas de crise majeure, en passant par la formation et l’encadrement militaire et autres…

Tu as déjà vécu des expériences dangereuses ?

Je n’ai pas été confrontée à une expérience particulièrement dangereuse. Nous sommes exposés au danger de façon permanente, les militaires étant devenus des cibles terroristes en France de manière générale.

Quelles ont été tes motivations pour intégrer l’armée ?

Je pense que mon engagement s’inscrit dans un chemin de vie assez complexe. Il peut paraître au premier abord contradictoire avec certaines de mes sensibilités politiques et culturelles mais finalement il se révèle être très cohérent et assumé. Je me suis engagée au départ dans le souci d’un devoir moral envers la France, un sentiment de gratitude éternel pour avoir accueilli mes grands-parents après la guerre, le besoin de sortir d’une histoire familiale, d’un passé qui ne doit plus jamais se réitérer. Une rage, un bonheur de vivre. Je ne peux pas nier que mon lien avec Israël et le Judaïsme ait donné un certain esprit à mon engagement, d’une part par ce sentiment de se battre pour des valeurs communes à ces deux États et surtout contre des ennemis communs. D’autre part si j’avais une réponse à apporter à Caïn à sa question « Suis-je le gardien de mon frère ? » (Genèse 4,9), je répondrai « Oui il faut t’engager pour ton frère ».

Envisages-tu une carrière militaire ?

A l’heure d’aujourd’hui je ne sais pas si je me lance vers une carrière militaire.

Pourquoi as-tu choisi l’armée plutôt que la police ?

J’ai choisi l’armée plutôt que la police car d’un point de vue extérieur j’ai toujours considéré la façon de travailler, d’aborder les missions de protection de la population plus efficace même si ce sont deux métiers différents. Dans mon imaginaire je voyais l’armée plus rigoureuse, plus respectée et plus opérationnelle.

Que penses-tu de la police française ?

L’armée travaille en lien très étroit avec la police, ces deux forces sont complémentaires dans la lutte contre le terrorisme. Je respecte les policiers car ils offrent leur vie tout comme les militaires au service de la France.

Dans ton unité, les soldats sont-ils d’origines sociales et culturelles diverses ? 

Dans mon unité d’affectation il y’a une très grande diversité ethnique et sociale.

Parlez-vous de politique ?

Nous parlons de politique entre nous soldats mais sans jamais engager l’uniforme par respect du code du soldat.

Quelle est la tendance générale ?

Je dirais de la tendance générale qu’il en ressort un désarroi général vis à vis du monde politique, comme dans le civil et une adhésion de plus en plus marquée aux partis populistes.

Parlez-vous de religion ?

Il arrive de parler de religion. Comme pour la politique cela se fait de manière informelle, entre nous.
L’armée est aussi un environnement de cohésion et bien que le racisme y existe comme partout ailleurs, le fait de travailler entre frères d’armes nous incite à user d’humour parfois assez noir pour apaiser les tensions. Souvent les blagues sur les religions et origines se font dans une ambiance bon enfant, l’armée m’a fait grandir aussi sur ça en tant que juive.

Tes collègues de l’armée savent-ils que tu es juive ?

La plupart de mes collègues de l’armée savent que je suis juive.

Tu leur en as parlé ?

Comme dans le civil je ne suis pas du genre à revendiquer ou exhiber ma religion dans un univers professionnel et de surcroît à l’armée mais je parle assez librement au détour d’une conversation de ma religion. Cela a été pour moi un moyen de me décomplexer dans la vie civile alors je fais de même en milieu militaire.

Quelles ont été leurs réactions ?

« Ah bon tu es juive toi ! »

As-tu été déjà été confrontée à l’antisémitisme ou as-tu déjà entendu des propos antisémites dans ton unité ?

J’ai malheureusement été confrontée à l’antisémitisme, aussi bien dans ma vie civile que militaire.

Comment as-tu réagi alors ?

J’ai réagi avec toutes les difficultés que le monde militaire implique…

Connais-tu d’autres juifs qui comme toi font l’armée en France ?

Je connais d’autres juifs engagés en tant que militaires d’active et de réserve.

Comment a réagi ta famille quand tu lui as appris que tu t’engageais dans l’armée ?

Ma famille n’a pas été enchantée par l’idée de mon engagement militaire, elle ne m’a pas vraiment soutenue mais au fil du temps elle commence à l’accepter et peut être même à ressentir une certaine fierté…

Tu te rends souvent en Israël ?

Je me rends en Israël au moins une fois par an pour rendre visite à ma famille et passer quelques jours de vacances.

Comment décrirais-tu ton lien avec ce pays ?

 Mon lien avec ce pays est viscéral, indéfectible. Ce pays aura toujours une place en moi et dans mon quotidien, c’est un lien très affectif bien que des fois il peut faire mal.

Envisages-tu de faire ton Alya? 

J’ai envisagé par le passé de faire mon Alya mais désormais je pense que la question ne se posera plus.

Comment présages-tu de l’avenir en France ?

 L’avenir en France ? J’ai beaucoup d’espoir et je veux y participer.

Et pour Israël ?

 Pour Israël, je suis triste de dire ça mais l’avenir semble bien sombre.

Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

Je terminerai par une phrase du Rabin Haïm Korsia après les attaques contre l’Hyper Casher et au début du lancement de l’opération sentinelle : « Que l’Éternel accorde sa protection et sa bénédiction à nos forces de l’ordre et à nos soldats qui s’engagent, dans notre pays et partout dans le monde, pour défendre la France et ses valeurs. Les forces morales, le courage et la ténacité qui les animent sont notre honneur »

Merci d’avoir répondu à nos questions. Nous te souhaitons le meilleur pour tes projets!

Dina préparée et équipée pour servir son pays…