Anecdote : 2 criminels juifs qui s’en sortent bien… Vive le Roi
En 1285, deux juifs de Figueras, Abraham de Turre et son fils Vidal, sont inculpés d’une multitude de crimes et délits, certains mineurs – comme d’avoir taillé les arbres d’un concitoyen –, d’autres beaucoup plus graves, allant jusqu’au meurtre. Abraham est notamment accusé d’avoir étouffé les deux enfants qu’il a eus d’une sarrasine ; d’avoir entretenu à son domicile des relations coupables avec une autre ; exigé de ses débiteurs des intérêts qu’ils lui avaient déjà versés ; d’avoir conclu des contrats de prêt à des taux contraires à ceux fixés par la législation royale ; de n’avoir pas payé ses impôts ; d’avoir falsifié des documents ; provoqué des rixes avec des juifs comme avec des chrétiens ; d’avoir pénétré armé dans la synagogue de Figueras pendant l’office ; d’avoir voulu tuer avec une épée un homme dans la synagogue le jour de Shabbat et d’en avoir extirpé un autre par les cheveux en l’insultant atrocement et même d’avoir voulu tuer son propre père et voler son frère. La liste continue et elle est longue. Même si nous savons que les faux témoignages sont courants pour mettre en cause des adversaires ou tirer profit d’une condamnation, la liste des motifs d’incrimination est ici tellement fournie, que nous avons du mal à croire à un faux témoignage qui justifierait par exemple la rémission royale. Par ailleurs il n’en est absolument pas question dans la lettre adressée par l’infant Alphonse aux inculpés – suite à l’appel qu’ils ont formulé – pour motiver sa décision : « Abraham et Vital de Turre […] nous vous absolvons, interrompons, et remettons définitivement de toute action, requête et demande et de toute peine civile et criminelle que nous pourrions demander contre vous, les vôtres ou vos biens.» Abraham de Turre et son fils sont donc totalement lavés des peines qu’ils encourraient du fait de leur inculpation. Plus loin dans la lettre est mentionnée la contrepartie de la rémission : « Nous reconnaissons avoir reçu de vous pour ces absolution, non-lieu et remise, la somme de sept mille quatre vingt dix sous barcelonais, sur laquelle nous nous sommes accordés selon votre bonne volonté. » Plus de 7 000 sous sont ainsi venus enrichir le trésor royal pour la grâce de deux hommes qui avaient peu de chances de ne pas être condamnés. La dernière phrase nous renseigne précisément sur le processus de la rémission : il semble que dans le cadre de l’appel formulé au roi, le condamné a ouvertement proposé un marché – l’expression pactati sumus renvoie bien à cette notion de marché –, précisant même peut-être la somme qu’il était prêt à verser.
Source : https://www.cairn.info/revue-le-moyen-age-2012-2-page-411.htm