Arnold Rothstein, un fils de bourgeois devenu parrain de la pègre

Parfois pour s’émanciper et réussir dans la vie, il faut sortir de son milieu quitte à régresser socialement quelques temps…

C’est ce que montre Rich Cohen quand il évoque le parcours atypique du célèbre gangster, Arnold Rothstein (extrait de Yiddish Connection ci-dessous)…

 

« Arnold Rothstein était le fils d’un homme fortuné. Il avait grandi dans une maison particulière de l’Upper East Side. Son père Abraham Rothstein possédait un comptoir de tissu et une filature.
Il avait des amis gouverneurs et juges comme Al Smith et Louis Brandeis et faisait l’intermédiaire entre les politiciens protestants et les Juifs pauvres des quartiers sud de la ville.
Depuis son jeune âge, Arnold avait dû savoir qu’il décevrait son père, qu’il n’attachait guère d’intérêt au sens de la justice tel que son père le concevait.

Arnold devait avoir à peu près quinze ans quand il entama ses escapades en douce hors de la maison paternelle, direction les bas quartiers. Même si ce n’était qu’à un quart d’heure en train de là, c’était comme passer dans un autre pays. Il marchait dans les rues illuminées, bousculé par des hommes ivres et des femmes mystérieuses, entouré de toutes sortes d’accents…
Arnold recherchait la vie du ghetto de la même manière que, plus tard, les adolescents blancs iraient à la recherche de la musique noire, le jazz, le rock, le rap. C’était là tout un monde, au delà des conventions dépourvues d’humour de la société des classes moyennes. Arnold descendait dans le Lower East Side comme Teddy Roosevelt s’en était allé en Afrique, en quête d’émotions fortes.

Dans les premières années du siècle, Rothstein commença à évoluer dans les petites maisons de jeu et les académies de billard du Bowery. À mesure qu’il pénétrait ce monde, il le transformait, montrant à de jeunes voyous comment se conduit un gentleman. Si l’on veut bien admettre que toute grande invention stylistique semble procéder par convergence de la base et du sommet, par pollinisation croisée des cultures, alors on constatera que Rothstein importait son raffinement des beaux quartiers dans les bas quartiers juifs.

Plus tard, Big Tim Sullivan « l’Irlandais », grand patron politique du Lower East Side, commença de se lier d’amitié avec Rothstein. Muni de la protection de Sullivan, protection contre les gangsters et les flics, Rothstein franchit l’étape suivante en ouvrant un casino cossu en plein centre-ville. En sus de l’argent, ce casino, qui rapportait environ dix mille dollars par semaine, procurait à Rothstein une stature sociale. Il possédait à présent la maison de l’établissement.
Parmi ses clients réguliers, il comptait des personnalités comme Harry Sinclair, le magnat du pétrole.
Arnold Rothstein représentait la porte ouverte sur le genre de plaisir que l’on ne pouvait se procurer par les voies légales.

Rothstein n’était pas seulement en train de devenir riche, il possédait désormais plus d’argent que son père, il gravissait l’échelle de ce monde parallèle… Lorsqu’il sortait de son casino, il était moins le jeune Juif élégant et malin que le « Cerveau », « La planche à Billets ».

Quand Arnold eut gagné suffisamment d’argent, il alla encore plus loin, en devenant le financier de la pègre. Il était impliqué dans le commerce de la drogue, dans l’élevage des chevaux, dans le truquage des combats de boxe. Pour les Juifs des quartiers sud, il était le Juif qui avait de l’argent, l’ « homme des beaux quartiers » . Ils l’appelaient aussi « Ph.G » : Pappa has gelt (le vieux a du liquide).

Il avait enfoncé une à une les barrières traditionnelles du monde parallèle et il avait fait irruption en un lieu où la ligne de démarcation entre le criminel et le recommandable devient vague et irréelle. Il opérait dans le milieu comme les grands aristocrates oeuvrent dans les hautes sphères : avec grâce… »

 

Commentaire : 

Il n’est pas sain de faire l’apologie d’un criminel.
Mais le parcours de Rothstein, à défaut d’être exemplaire, est impressionnant et vaut le détour : un fils de riche venant trainer dans les bas-fonds pour s’encanailler et qui réussit à devenir le chef de la pègre.
Qui plus est en éduquant les voyous de ce milieu et en les sortant de leur condition minable. Pour cela, il fut d’ailleurs surnommé le « Moïse de la pègre »
Quelle leçon peut-on en tirer si on met entre parenthèses la dimension criminelle?
Peut-être qu’il faut parfois sortir de sa zone de confort pour trouver le salut. Qu’il ne faut pas avoir peur d’aller conquérir des terres qui nous paraissent hostiles car finalement, en ne reniant jamais vraiment ses origines, on parvient à s’enrichir et à enrichir l’autre (au figuré, au figuré ET au propre pour Rothstein…)
Heureusement tout cela peut se faire de manière beaucoup moins caricaturale et violente.
Au quotidien, au travail, dans ses loisirs, dans sa vie sociale…