28 Mai 2019
« Les filles étaient nos meilleurs combattants »: extrait de « Le juif qui savait » de Dina Porat
« Nous étions devenus des voleurs, mais avec un code d’honneur très rigoureux ».
Dans ce passage, Dina Porat décrit le courage, la bravoure, l’intégrité et même la dureté des combattantes juives du groupe d’Abba Kover qui se battait contre les nazis, dans la forêt de Rudnick en Lituanie.
…Autre particularité : les femmes sont traitées à l’égal des hommes et Kovner insiste pour qu’elles participent aux « sorties ». Or, non seulement elles accomplissent leur mission de façon exemplaire, mais elles sont souvent citées en exemple aux garçons. Selon Vitka, « notre valeur, dans la forêt, tenait d’abord à notre rigueur morale. Jamais aucune d’entre nous ne s’est dérobée à son devoir ». Vitka elle-même commande une unité d’éclaireurs composée de six hommes, et se montre intraitable chaque fois que l’un ou l’autre entend piquer un somme ou confisquer aux paysans plus de nourriture que nécessaire. Après sa première sortie, Ruzka écrit pour sa part qu’elle avait agi avec le sentiment que « la réputation du genre féminin tout entier reposait sur ses épaules ». Quand à Zelda Treger, qui assure toujours la liaison avec Wilno, elle ne cesse de faire des allers et retours pour rapporter des médicaments à la base, transmettre des tracts et acheminer des armes, accompagner des militants pour qu’ils assistent à des réunions ou coordonner les actions de sabotage. « Les filles étaient nos meilleurs combattants ! », dira Isaar Schmidt, parachuté depuis Moscou et qui officiait à l’époque comme commissaire politique au sein du campement « Les Vengeurs ».
Au-delà, il faut organiser la vie quotidienne et l’approvisionnement en nourriture. La plupart du temps, les partisans se contentent d’une gamelle de belanda, un mélange sans sel de farine et d’eau qui tournait rapidement et faisait gonfler l’estomac. La veuve de Yechiel Scheinbaum, Pessia, est chargé des cuisine, un travail difficile qui nécessitait un fort caractère. Un jour, se souvient Senka Nisanelewicz, des hommes avaient volé, pendant leur tour de garde, les pommes de terre qu’elle gardait pour les malades et les blessés. Elle en informa aussitôt Kovner, qui « restait d’abord et avant tout un éducateur », et il prit l’affaire très au sérieux. Après avoir identifié les coupables, il les punit en les forçant à avaler non seulement leur propre assiette de belanda, mais aussi celles des commandants de la base. Ces derniers eurent faim toute la journée, mais les fautifs, eux, se tordaient de douleur. Senka Nisanelewicz dirait à ce propos qu’ils éprouvèrent alors une grande colère « contre Abba et ses méthodes « éducatives ». Mais avec le recul, nous avons fini par comprendre que s’il n’avait pas été aussi dur, les vivres auraient vite diminué et il serait devenu impossible de nourrir tout le monde, y compris ceux qui n’allaient pas en opération et ne pouvaient donc pas glaner de quoi manger en chemin ».
Se procurer de la nourriture dans la forêt était extrêmement ardu. « Nous étions devenus des voleurs, mais nous observions une éthique et un code d’honneur très rigoureux », dit Vitka. Si les circonstances les contraignent à faire des razzias chez les paysans, il est interdit de prendre plus que ce qui était absolument indispensable à leur survie : ni fruits, ni légumes, pas de beurre, seulement de la viande et de la farine. Si le fermier possédait quatre vaches, ils en prenaient deux. Tels étaient les ordres et quiconque y dérogeait devait répondre de ses actes. Il n’était cependant pas aisé de résister à la tentation, surtout quand Kovner n’était pas là et que les partisans avaient affaire à des villageois polonais pogromistes ou à des Volkdeutsche, des représentants de la minorité allemande, particulièrement haineux.
Le Juif qui savait. Wilno-Jerusalem: la figure légendaire d’Abba Kovner.