« La Petite Princesse », une histoire juive?

princesse sarah
 
La Petite Princesse (A Little Princess) est un roman pour la jeunesse écrit par Frances Hodgson Burnett et paru en 1905. Il s’agit d’une version revue et développée de son roman-feuilleton intitulé Sara Crewe : or, What Happened at Miss Minchin’s Boarding School, publié en 1888 dans St. Nicholas Magazine.
 
Considéré comme un classique de la littérature enfantine, le roman demeure l’une des œuvres les plus populaires de Frances H. Burnett. Il a connu de nombreuses adaptations au théâtre, au cinéma et à la télévision, suscitant également des comédies musicales et un anime.
 
L’histoire se passe à Londres (Angleterre) en 1885. Sarah Crew, alors âgée de huit ans, est la fille d’un riche homme d’affaires, exploitant d’une mine de diamants en Inde. Sa mère est morte alors qu’elle n’était qu’un bébé.
Devant repartir en Inde, son père, sur les conseils de son avocat, la place dans un petit pensionnat pour jeunes filles afin d’y recevoir la meilleure éducation.
Les premiers temps, la petite fille est traitée avec tous les égards dus à sa fortune. Sarah, surnommée la princesse diamant, est accueillie chaleureusement par Mlle Minchin la directrice, et par les autres élèves du pensionnat. Seule Lavinia, l’ancienne favorite de Mlle Minchin, la déteste ouvertement.
Un jour pourtant, alors qu’elle fête son neuvième anniversaire, sa vie bascule en apprenant la faillite et le décès de son père.
Sans ressources, elle est engagée comme servante par la cupide directrice du pensionnat. Brimée et sans cesse rabaissée par cette dernière, ainsi que par Marie et James, deux employés du pensionnat, Sarah subit également les railleries de Lavinia, Gertrude et Jessie, d’anciennes camarades de classe.
Dorénavant, elle devra travailler dur pour l’internat : se rendre à Londres tôt le matin pour y acheter les courses de la journée, nettoyer les sols et toutes les pièces de l’école, laver la vaisselle et les vêtements de ses anciennes camarades, être de corvée de charbon…
Souvent punie pour sa force de caractère, ses forces commencent lentement à décliner, ses habits à s’abimer et sa santé à se détériorer. Loin des regards de ses persécuteurs, entre les murs de sa mansarde, elle se laisse aller au désespoir et pleure sur la photo de ses parents.
Becky, Peter, Lottie et surtout Marguerite, les quelques amis qui lui restent, ainsi que son immense courage et sa ténacité l’aideront à surmonter cette descente aux enfers.
(source: http://www.topkool.com/fr/dessins-animes/princesse-sarah).
 
Cette histoire n’a à priori pas de lien direct avec le judaïsme, exception faite du prénom Sarah qui a une consonance hébraïque.
Pourtant, le roman aborde de nombreux thèmes et véhicule des valeurs qui font écho au destin des juifs à travers les siècles.
 
Le nomadisme et l’acculturation
 
Sarah a vécu plusieurs années aux Indes avec son père avant que celui-ci la place dans un pensionnat pour jeunes filles huppées de Londres. Si Sarah ne change pas encore de milieu social, elle doit déjà s’imprégner d’une nouvelle culture. A Londres, elle vivra dans des lieux différents, au gré des circonstances heureuses ou dramatiques. Quand son père meurt ruiné, elle devient servante dans le pensionnat. Alors qu’elle vivait avant le drame dans une chambre luxueuse, elle occupera désormais une sinistre et vétuste mansarde. Vers la fin du roman, la directrice, Mademoiselle Minchin comprendra que Sarah possède un riche tuteur et lui fera réintégrer sa chambre en lui restituant tous ses objets luxueux auparavant confisqués. Finalement, Sarah s’installera chez Monsieur Crissford, richissime ami de son père qui la prendra en charge.
Ces pérégrinations évoquent celles des juifs fréquemment contraints de quitter leur pays et de s’adapter à de nouvelles cultures. Les mesures antisémites ont aussi souvent provoqué le déclassement des juifs.
 
L’exclusion
 
A la mort de son père, Sarah se retrouve démunie et ruinée. Sa régression suscitera le mépris d’une partie de ses anciennes camarades. La directrice interdira aux élèves d’adresser la parole à Sarah car elle n’est plus désormais qu’une pauvre servante. Pour Sarah, c’est la double peine. La misère et l’exclusion. Bannie de son milieu d’origine mais aussi méprisée par le petit personnel qui ne supporte pas les bonnes manières que sa famille lui a enseignées. Heureusement, elle trouvera de précieux alliés, aussi bien dans les classe ouvrières qu’aisées.
N’appartenant plus à la bourgeoisie mais jamais vraiment intégrée au prolétariat, le sort de Sarah rappelle l’impossible enracinement des juifs au sein des milieux dans lesquels ils évoluèrent.
 
La maltraitance
 
Dans son malheur, Sarah subira les brimades, les humiliations, les punitions injustes et même la maltraitance physique de la part de ses responsables. La directrice sera souvent à l’origine de ces comportements abusifs.
En outre, certaines anciennes camarades de classe joueront fréquemment de mauvais tours à Sarah pour l’humilier et pour qu’elle soit durement sanctionnée.
Marginalisée socialement, Sarah supportera des violences physiques et psychologiques émanant de milieux différents.
Des sévices comparables, toutes proportions gardées, à celles que des groupes sociaux ou ethniques parfois antagonistes, infligeaient aux juifs qui devenaient pour l’occasion l’ennemi commun.
 
La solidarité
 
Sarah sera soutenue, tout au long de l’histoire par des amis, riches ou pauvres. Des élèves du collège, mais aussi Becky, la servante et Peter le ramoneur, l’aideront à maintes occasions. Mémorable également le dévouement d’un garde anglais, d’un riche commerçant et d’un marin.
Cette solidarité permettra à Sarah de surmonter de nombreuses épreuves et à l’aidera à mieux supporter sa condition.
Dans l’histoire juive, au delà de la solidarité communautaire, c’est parfois la compassion de personnes de milieux différents et aux origines politiques diverses qui a contribué à la survie des juifs dans un monde hostile. Le rôle des justes durant la seconde guerre mondiale en est une illustration très forte.
 
L’instinct de survie
 
Dans sa descente aux enfers, Sarah développe des qualités exceptionnelles pour faire face à l’adversité et pour survivre: force de caractère, courage, abnégation, acceptation de la souffrance…
A plusieurs reprises, elle se retrouve dans des situations critiques. Quand elle tombera gravement malade, elle s’en sortira grâce à une volonté de vivre et à une combativité hors-norme. Mais pour Sarah, survivre ne signifie pas seulement ne pas mourir. Il s’agit de ne pas abandonner, ne pas craquer et aller finalement au bout de ses mésaventures. Sa situation dramatique fait sens, elle s’impose de la dépasser, convaincue que son sort s’améliorera.
Le peuple juif a également connu des moments désespérés. Il aurait pu disparaitre et pourtant il s’est toujours relevé et s’est reconstruit. Il a pérennisé son histoire malgré les terribles obstacles.
Grâce à cet instinct de survie et peut-être aussi au sens donné à une souffrance qui serait une épreuve divine.
 
 La foi
 
Elle est fondamentale dans « le chemin de croix » de la petite princesse.
Dans le roman, la confession de Sarah, le christianisme, est très peu évoqué. Il n’est pas central dans l’identité du personnage, ni dans sa lutte pour survivre. Sarah ne se réfère jamais à Dieu. Pourtant sa foi est très grande, quasi religieuse.
Elle croit en en vie meilleure et est convaincue que les souffrances qu’elle endure ne sont qu’un passage avant de retrouver le bonheur.
Sarah n’a pas de Dieu. Mais elle est très attachée spirituellement à son père décédé. Il lui donne la force, le courage et l’envie de vivre. Elle se bat pour lui car elle pense qu’il la regarde. Sarah garde toujours une photo de son père. Dans les moments difficiles, elle se recueille devant cette photo et implore son père de l’aider.
Les juifs ont également dû avoir la foi pour surmonter tous les drames qui les ont frappés. A la différence du destin de la petite Sarah, seule et ne pouvant compter que sur elle-même, cette foi était collective. Mais dans les deux cas, c’est la croyance en un monde meilleur qui a été salutaire.
 
 
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Ce parallèle entre l’histoire de la petite princesse et celle du peuple juif est donc basé sur des valeurs communes.
Dans la fiction comme dans la réalité, c’est un combat solitaire qui a été gagné grâce à des qualités morales exceptionnelles et à la croyance au miracle.
Bien sûr, d’autres peuples et individus ont mobilisé des ressources semblables pour survivre. Si elles ne sont pas exclusives du peuple juif, son histoire en est une extraordinaire concrétisation.
 
Parler d’un roman qui tient à coeur pour alimenter un blog consacré au judaïsme peut sembler opportuniste. Pourtant le destin du peuple juif ne peut pas être compris sans s’intéresser à la vie de ceux qui n’en font pas partie.
La dimension ‘juive », même inconsciente, du roman de Frances Hodgson Burnett est incontestable.
 
Ce n’est probablement pas un hasard si le roman la « Petite Princesse » a été adapté par l’écrivaine Eva Vogiel dans une livre nommé « Light for Greytowers ». Il raconte l’histoire d’une petite juive de 15 ans, envoyée dans un orphelinat catholique en Angleterre. Elle y subira la tyrannie de la directrice de l’établissement. Pour surmonter les épreuves, elle s’appuiera sur les valeurs juives que ses hôtes tenteront en vain de lui faire oublier…