Les juifs ultra-orthodoxes, précurseurs du monde futur?

Peut-être est-ce en Israël qu’à été conduite l’expérience la plus réussie sur la manière de mener une vie satisfaisante dans un monde post-travail. Environ 50% des hommes juifs ultra-orthodoxes ne travaillent jamais. Ils passent leur vie à étudier les Saintes Écritures et à accomplir des rituels religieux. Si eux et leurs familles ne meurent jamais de faim, c’est, pour une part, que souvent les femmes travaillent, mais aussi que le gouvernement leur offre de généreuses allocations et des services gratuits, veillant à ce qu’ils ne manquent pas du minimum vital.
C’est le soutien de base universel avant la lettre.

Certes, ces Juifs ultra-orthodoxes sont pauvres et sans emploi, mais enquête après enquête, ils déclarent des niveaux de satisfaction plus élevés que tout autre groupe de la société israélienne. Cela tient à la force de leurs liens communautaires, ainsi qu’au sens profond qu’ils trouvent dans l’étude des Écritures et l’accomplissement des rituels.
Une salle pleine d’hommes juifs discutant du Talmud pourrait bien garantir plus de joie, d’engagement et d’intuition, qu’un immense atelier clandestin où triment des travailleurs du textiles. Dans les enquêtes mondiales de satisfaction, Israël se classe habituellement parmi les premiers, en partie grâce à la contribution de ces gens pauvres et sans emploi.

Les Israéliens laïques déplorent souvent amèrement que les ultra-orthodoxes ne contribuent pas suffisamment à la société et vivent du travail acharné des autres. Ils ont aussi tendance à soutenir que le mode de vie ultra-orthodoxe est intenable, d’autant que ces familles ont en moyenne sept enfants. Tôt ou tard, l’État ne pourra entretenir tant de chômeurs, et les ultra-orthodoxes devront se mettre au travail.
À moins précisément, que ce ne soit l’inverse. Tandis que les robots et l’IA chassent les humains du marché de l’emploi, on pourrait bien voir dans les Juifs ultra-orthodoxes le modèle de l’avenir plutôt qu’un fossile du passé. Non que tout le monde veuille se faire juif orthodoxe et fréquenter une yeshivah pour étudier le Talmud. Dans la vie de tous, cependant, la quête de sens et de communauté pourrait éclipser le recherche d’un emploi.
 
Extrait de « 21 leçons pour le XXIe siècle » de Yuval Noah Harari