Armée d’occupation, mon petit bonhomme ! Les gangsters juifs, la fierté retrouvée et l’illusion de l’invulnérabilité

Dans cet extrait du livre « Yiddish Connection », Rich Cohen explique comment son père a pu en finir avec l’image du Juif persécuté. L’armée… et la pègre.

Pendant, la guerre de Corée, mon père, tout comme Elvis – qui, soit dit en passant, n’était pas originaire de Brooklyn – était basé en Allemagne de l’Ouest. Il était en garnison à Bad Kissingen, à la frontière est-allemande, une dizaine d’années après la Seconde Guerre mondiale. Un jour que je regardais des photos de lui vêtu d’un treillis, des vieux tirages papier avec beaucoup de grain, je lui demandai si cela ne lui avait pas peur, de se retrouver entouré d’hommes qui, si peu de temps auparavant étaient encore des nazis déclarés.

« Peur ? répéta-t-il, comme s’il avait eu affaire à un simple d’esprit. Hé, mon petit bonhomme, j’avais un calibre trente-huit calé contre la hanche. Autrement dit : quand je parle, on m’écoute. Armée d’occupation mon petit bonhomme. C’était pas moi qui avais des raisons d’avoir peur. Les Schleus, les Boches, les Ostrogoths, c’était eux qui fouettaient. »

Et cette leçon de la guerre, beaucoup de Juifs appartenant à la génération de mon père l’avaient retenue. Dégainer son arme et tirer, c’est mal. Dégainer son arme et tirer, c’est lamentable. Mais si dégainer son arme et tirer permet de s’en sortir, alors mieux vaut encore se trouver du bon côté du canon. Armée d’occupation, mon petit bonhomme ! Et c’est l’une des raisons pour lesquelles mon père tenait dur comme fer à l’image romantique du gangster juif. Tout au long de leurs années de formation, celles qui suivirent l’holocauste, alors qu’ils étaient tous confrontés à l’image de ces Juifs morts, avilis, entassés dans des fosses communes à coup de bulldozer, voilà que cette autre image s’imposait, plus familière : celle de Juifs armés de pistolets, de Juifs sans peur, des durs? Te laisse pas embobiner par les religieux avec leur yarmulka. Ces Juifs-là, ces gangsters, pas question de les tuer, ils ne t’auraient pas laisser le temps de t’approcher, ils auraient été les premiers à t’abattre. Bugsy Siegel, Abe Reles, Louis Lepke, ces anti-héros, avec leur air fanfaron qui, à lui seul, semblait laisser entrevoir aux Juifs la possibilité d’une alternative. Si de nos jours les gangsters Juifs connaissaient encore une fortune florissante, s’ils n’étaient pas rentrés dans le rang, si les Juifs de ma génération ne les considéraient pas comme de purs produits de l’imagination, des créatures à ranger aux côtés de l’Abominable Homme des neiges ou du monstre du Loch Ness, je pense que la communauté juive ne s’en serait que mieux portée. Après tout, chacun de nous a besoin de modèles qui lui donnent l’illusion de la force.

Sans quoi, comment expliquer la valeur proprement sacrée que les Juifs américains accordent à l’armée israélienne ?
Armée d’occupation, mon petit bonhomme !