BEN AMI CARTER UN LEADER POUR LES HEBREUX NOIRS

Tu as certainement entendu parler des Falashas, les Juifs noirs d’Éthiopie qu’on on appelle aussi les Béta Israël. La plupart d’entre eux ont choisi d’aller vivre en Israël. Il y a beaucoup d’autres Juifs noirs à travers le monde comme les Lembas ou les Abayudayas en Afrique. Bien avant que les feux de l’actualité se braquent sur les Falashas, d’autres Juifs noirs s’étaient installés à Dimona, en Israël.

On les appelle les Hébreux Noirs. Leur chef charismatique était Ben Ami Carter. Il vient de s’éteindre. Voici son histoire et celle de sa communauté.

Nous sommes en 1965 à Chicago aux États-Unis. Au quartier général de la congrégation des « Hébreux Noirs », l’atmosphère est tendue, les esprits sont en ébullition. En effet, le leader du groupe, Ben Ami Carter, s’apprête à faire une importante déclaration à ses fidèles. À l’heure prévue, celui que l’on appelle « Le Prince », cheveux coiffés à l’afro, pénètre majestueusement dans la salle de prière. Il a revêtu, pour l’occasion, son « daïshiki » une longue robe aux couleurs flamboyantes et se dirige vers son « trône » recouvert de peaux de léopards. Dès qu’il prend la parole, le silence le plus complet se fait dans la salle.

« Mes frères, le jour de notre délivrance est proche ! Nous allons quitter l’Amérique, terre de nos misères, pays de notre captivité et de notre déchéance. Mes frères, cette nuit, j’ai fait un rêve. Nous allons tous rejoindre notre berceau ancestral. Nous partons pour l’Afrique ! »

Stupeur et affolement dans l’assistance. L’ Afrique, c’est le bout du monde, Et quand cela. Et comment ? Dans quelles conditions ?

Les préparatifs au départ considéré comme inéluctable par « Le Prince » vont durer deux ans. Une centaine de fidèles s’apprête à rejoindre le Liberia, en Afrique Occidentale. Au préalable, des émissaires de Ben Ami Carter font un voyage préparatoire au Liberia. Dans les environs de la capitale de cette République fondée par d’anciens esclaves et proclamée en 1847, ils acquièrent un terrain et entament les fondements d’une future ferme collective. Nous sommes alors en 1967. Les Hébreux Noirs américains commencent à arriver au Liberia.

Hélas, au bout de quelques mois, il faut se rendre à l’évidence c’est l’échec le plus total. Incompétents en matière d’agriculture, complètement désorientés face à des pluies tropicales auxquelles ils n’étaient pas habitués, vivant en autarcie, les « Hébreux Noirs » finissent par provoquer l’hostilité de leurs voisins comme celle des autorités libériennes. À la suite de diverses plaintes, l’attorney général est conduit à prononcer à leur rencontre un arrêté d’expulsion au motif d’ « entrave aux formalités d’immigration ». Le président du pays, William Tubmann, ému par les doléances et les suppliques des « Hébreux Noirs » ordonne de suspendre l’arrêté, mais le mal est fait. Le coeur n’y est plus.

Ben Ami Carter réunit à nouveau ses fidèles et, dans un discours mémorable, déclare : « Mes frères, ne vous désespérez pas ! Cette ingrate terre libérienne, c’est notre traversée du désert, notre Egypte avant notre Terre Promise. Car en réalité, je vous le dis, Moïse était noir. Les véritables Juifs, les descendants de la tribu de Juda, c’est nous ! Israël ; Israël, voilà notre vrai pays ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Ben Ami Carter envoie des éclaireurs en Israël qui explorent les possibilités locales allant de « yeshivot » en « kibboutzim ». Le message est également transmis à ceux des « Hébreux Noirs » restés à Chicago.

1969. Par centaines, venus du Liberia comme des Etats-Unis, les « Hébreux Noirs » gagnent l’État juif. Le gouvernement israélien, un peu surpris et débordé, leur accorde cependant le statut d’ « olim hadachim » (nouveaux immigrants) et les installe dans le Néguev. Deux mille » Hébreux Noirs » se retrouvent ainsi à Dimona, à Arad et à Mitspé Ramon. Les autorités religieuses commencent à s’inquiéter. Des bruits circulent. Ces « Hébreux Noirs » ne sont pas de vrais Juifs. Ils observent des coutumes qui ne sont pas très « cachères » : polygamie, interdiction absolue du tabac et de l’alcool, lecture, lors des offices, de passages du « Nouveau Testament…

Pour comble, les adeptes de Ben Ami Carter refusent les sollicitations de certains rabbins qui veulent procéder à une conversion officielle au judaïsme, ce qui permettrait de clore le débat.

Le maire de Dimona, Jacques Amir, entre en conflit avec les « Hébreux Noirs ». En 1980, une commission d’enquête de la Knesset, dirigée par David Glass, du Parti National Religieux, considère qu’Israël serait en droit d’expulser tous ces « Hébreux Noirs » qu’il considère comme clandestins, mais préconise que l’État doit leur accorder la citoyenneté israélienne et leur offrir des terres à mettre en valeur.

Au fil des ans, les difficultés n’ont pas été épargnées aux « Hébreux Noirs ». L’arrivée des Juifs noirs d’Éthiopie a finalement banalisé la présence de Juifs Noirs en terre d’Israël. Plusieurs générations d’ « Hébreux Noirs » sont nées en Israël. Pour rien au monde, ils ne quitteraient le pays, leur patrie « Le Prince », Ben Ami Carter est mort le 27 décembre 2014 à Dimona. Il avait 75 ans.

 

Jean-Pierre Allali

 

Article du magazine des communautés juives TRIBU 12
Source et article original:  https://www.tribu12.fr/ben-ami-carter-un-leader-pour-les-hebreux-noirs/