Réinventer l’identité juive ?

Nous savons qu’il y a plusieurs façons d’être juif: religieux, athée, sioniste, ashkénaze, séfarade…
L’erreur serait de croire qu’il existe une identité juive pure ou authentique, y compris parmi ces différentes composantes…
Celle-ci dépend de plusieurs facteurs comme l’apport d’autres cultures, les circonstances historiques où la personnalité des uns et des autres.
Mais le judaïsme n’est pas figé et peut se réinventer. Il est tout à fait possible de concevoir un judaïsme nouveau. Ceci peut se faire en se basant sur des éléments de la tradition et de la religion mais aussi en mettant en oeuvre une certaine créativité. Il s’agit alors d’abandonner l’idée d’une identité juive parfaitement « naturelle », car dans toute création réside une dimension artificielle.
Sur un plan religieux, le judaïsme libéral appelé parfois judaïsme réformé peut constituer un exemple, que l’on approuve cette branche ou pas.
Sur le plan politique, le sionisme était aussi une doctrine rénovant un judaïsme autrefois cantonné à la Diaspora.
 
Dans son livre « 21 leçons pour le XXIème siècle » , Yuval Harari prend l’exemple du Japon qui a su réinventer son identité pour préserver ses traditions toute en s’adaptant à la modernité.
 
Extrait:
 
Peut-être le meilleur exemple de la force et de l’importance persistantes des religions traditionnelles dans le monde moderne nous vient-il du Japon. En 1853, une flotte américaine força le Japon à s’ouvrir au monde moderne. En réponse, l’État japonais se lança dans une modernisation rapide et couronnée de succès. En l’espace de quelques décennies, il devient un puissant État bureaucratique qui s’en remit à la science, au capitalisme et à la technologie la plus moderne pour vaincre la Chine et la Russie, occuper Taïwan et la Corée, pour finir par couler la flotte américaine à Pearl Harbour et détruire les empires européens d’Extrême-Orient. Reste que le Japon ne copia pas aveuglément le modèle occidental. Il était farouchement décidé à protéger son identité unique et à veiller ce que le Japonais modernes demeurent loyaux au Japon plutôt qu’à la science, à la modernité ou à quelque nébuleuse communauté mondiale.
 
À cette fin, le Japon a fait du shinto, la religion indigène, la pierre angulaire de l’identité japonaise. En vérité, l’État japonais a réinventé le shinto. Le shinto traditionnel était un méli-mélo de croyances animistes en toute sorte de divinités, esprits et fantômes, chaque village et chaque temple ayant ses esprits favoris et ses coutumes locales. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’État japonais créa une version officielle du shinto tout en décourageant les multiples traditions locales.
Ce « shinto officiel » fusionna avec les idées de la nation et de race que l’élite japonaise reprit aux impérialistes européens. À ce mélange vint s’ajouter tout élément du bouddhisme, du confucianisme et de l’éthos des samouraïs susceptible d’aider à cimenter la loyauté envers l’État. Pour couronner le tout, le shinto officiel se donna pour principe suprême le culte de l’empereur, censé descendre directement de la déesse du soleil Amaterasu et n’être lui-même ni plus ni moins qu’un dieu vivant.
 
À première vue, cette étrange concotion d’ancien et de nouveau semblait fort mal appropriée pour un État engagé dans une course effrénée à la modernisation. Un dieu vivant ? Des esprits animistes ? Un éthos féodal ? Cela ressemblait davantage à une chefferie néolithique qu’à une puissance industrielle moderne.
 
Or, cela marcha comme par enchantement. Les Japonais se modernisèrent à un rythme époustouflant tout en vouant à leur État une loyauté fanatique. Le symbole le mieux connu de la réussite du shinto officiel est que le Japon devint la première puissance à mettre au point et à utiliser des missiles guidés avec précision. Nous connaissons ces missiles sous le nom de kamikaze. Alors que de nos jours le guidage des munitions de précision est assuré par des les ordinateurs, les kamikazes étaient des avions ordinaires chargés d’explosifs et guidés par des pilotes humains prêts à se lancer dans des missions sans retour. Cet empressement était le fruit d’un esprit de sacrifice, au mépris de la mort, cultivé par le shinto. Ainsi le kamikaze reposait-il sur l’association de la technologie la plus moderne et de l’endoctrinement religieux moderne.
 
À leur insu ou non, les gouvernements modernes suivent aujourd’hui l’exemple japonais. Ils adoptent les outils et les structures universels de la modernité tout en s’appuyant sur les religions traditionnelles afin de préserver une identité nationale unique. Le rôle du shinto au Japon est plus ou moins assuré par l’orthodoxie en Russie, le catholicisme en Pologne, l’islam chiite en Iran, le wahhabisme en Arabie saoudite et le judaïsme en Israël. Si archaïque que puisse paraître une religion, avec un brin d’imagination et de réinterprétation on peut presque toujours la marier aux tous derniers gadgets technologiques et aux institutions modernes les plus sophistiquées.