01 Sep 2019
Les juifs doivent-ils défendre la démocratie?
Rappelons la définition de la démocratie
Au sens politique du terme, c’est un régime dans lequel le peuple exerce la souveraineté. La France est une démocratie parlementaire.
Paul Ricoeur proposait une définition plus philosophique : « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage ».
La démocratie est ainsi associée à la liberté individuelle mais aussi à l’intérêt général, symbiose parfaite des intérêts particuliers. Nous voyons aujourd’hui ô combien il est difficile de le satisfaire.
Les Juifs et la démocratie
Les Juifs ont été de tous temps des grands défenseurs de la démocratie. Par humanisme? C’est possible. Plus certainement parce qu’ils ont beaucoup souffert des régimes totalitaires: nazisme, fascisme, communisme…
Mais n’oublions pas que l’antisémitisme est aussi très fort dans certains pays démocratiques qui en autorisent parfois l’expression. En 1894, l’affaire Dreyfus a éclaté dans une France démocratique qui n’a pas empêché le déchainement antisémite. Aujourd’hui, les Etats-Unis considérés par certains comme la plus grande démocratie du monde ne sont pas épargnés. Alliés d’Israël et accueillant une importante communauté juive, ils tolèrent pourtant des manifestations ouvertement nazies. Depuis quelques années les agressions antisémites se multiplient, qu’elles émanent de l’ultra-droite ou des « minorités ethniques »…
Intéressons nous particulièrement à la France
Les époux Klarsfeld, symboles de lutte contre l’antisémitisme, déclaraient récemment à France Inter que les juifs devaient absolument défendre la démocratie, au delà de la simple question de l’antisémitisme. Il s’agit d’éviter à tout prix le retour des régimes autoritaires, fascistes, populistes, xénophobes. L’extrême-droite était principalement visée. Malgré l’immense respect que je leur porte, j’ai une analyse différente.
Tout en adhérant à l’idéal démocratique, utopie par définition, nous devons admettre qu’aujourd’hui, c’est paradoxalement au sein de cette démocratie que s’expriment les pires formes d’antisémitisme: politique avec l’extrême droite et l’extrême gauche, religieux avec les islamistes, criminel avec les délinquants des quartiers sensibles.
Soulignons que les Juifs ne sont pas les seules victimes des extrémistes et des voyous. Mais en tant que juifs, ils sont particulièrement visés. Comme ceux qui fuient les zones sensibles et font leur Alyah pour échapper à la fois à l’antisémitisme et à la délinquance.
La démocratie ennemie d’elle-même?
Si ces dérives s’expriment à l’intérieur de la démocratie, c’est parce que son fonctionnement actuel engendre de nombreuses défaillances : absence d’autorité politique liée notamment à la séparation des pouvoirs, laxisme judiciaire et primauté du droit au mépris parfois de la morale, forces de l’ordre dépassées, méprisées par une partie de la population, muselées par leur hiérarchie, liberté d’expression favorisant les querelles politiques et sapant l’unité nationale.
Ces inhibiteurs empêchent la démocratie de se défendre contre ses ennemis. Pire, sa vulnérabilité les renforce.
Si la démocratie parvenait à se débarrasser des extrémistes, on ne pourrait plus la nommer ainsi. On parlerait plutôt de démocratie autoritaire ou de démocrature, terme parfois utilisé pour qualifier la Russie de Poutine.
L’attachement des français aux libertés individuelles est encore trop fort pour qu’ils acceptent une telle évolution. Ils ne sont pas mûrs pour un régime autoritaire même si celui-ci était capable d’éradiquer la violence et les extrémistes. Dans l’esprit français, les dérives sont associées à la démocratie, elles sont une sorte de fatalité, le revers de la médaille d’une société moderne. Le prix à payer pour la liberté.
Les Juifs français ne font majoritairement pas office d’exception. Le danger, c’est qu’à force de rejeter tout encadrement ou restriction des libertés individuelles ainsi que le renforcement de l’autorité, nous risquons de voire triompher les radicaux : l’extrême droite, les islamistes… et pourquoi pas une puissance étrangère qui contrôlerait la France un jour… Eux ne s’embarrasserons pas du respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression.
Un nouveau système?
On peut aussi envisager un système politique qui ne soit ni la démocratie, ni la dictature, ni un compromis entre les deux. Aujourd’hui, la démocratie est le contraire de la dictature et inversement. Fatalement elles sont les deux faces de la même pièce.
L’avènement d’un régime nouveau, garant de la paix sociale, nécessitera une créativité politique et idéologique qui nous fait défaut car nos sommes trop empêtrés dans des schémas classiques, binaires et antinomiques…
Les Juifs inventeront-ils ce modèle?
En attentant, je prône un relatif détachement vis à vis de ces questions. Un détachement qui ne doit toutefois pas confiner au repli communautaire, ni à l’aveuglement. Car je suis persuadé qu’avant d’agir sur le monde, nos devons opérer un profond changement en nous. Cultiver son identité, affirmer ses valeurs, ne pas transiger avec ce qui pourrait menacer notre intégrité identitaire et spirituelle. C’est d’une certaine façon le quotidien des Juifs religieux. Aux Juifs laïcs d’inventer leur propre modèle. Peut être que le monde suivra… ou tombera. Mais nous, nous serons toujours là…
Et la démocratie en Israël?
Je souhaite seulement évoquer Israël car ma connaissance de sa société est limitée.
Ce dont je suis sûr, c’est que la question démocratique est cruciale pour Israël.
Est-elle viable dans le pays des Juifs?
La démocratie censée faire cohabiter des gens différents a-t-elle un sens là où l’unité des Juifs devrait être naturelle?
N’est-elle pas au contraire un facteur de division?
Est-elle compatible avec le caractère juif de l’état d’Israël?
Les forts antagonismes politiques, religieux, sociaux, culturelles et économiques nous apportent un début de réponse…
Les Israéliens, modèles pour de nombreux Juifs de la Diaspora seront tôt ou tard confronter à ce dilemme. Espérons qu’ils nous montrent la voie à suivre.
Peut-être qu’il est sage de se contenter pour l’instant de la citation du formidable Churchill: «La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.»