Justes ou collabos ?

On oppose souvent les justes qui ont sauvé des juifs pendant la guerre et les collabos qui les ont dénoncés.
Un souvenir d’enfance marquant me fait réfléchir sur cette opposition qui pourtant ne devrait souffrir d’aucune contestation.
Au début des années 80, mes parents avait emménagé dans un pavillon de la banlieue parisienne.
Alors que nous étions au début de notre installation, mes parents ont eu une altercation verbale avec leurs voisins plus âgés. Même si je ne me souviens plus du motif de la dispute, je sais qu’il n’avait strictement rien à voir avec l’origine de mes parents.
Pourtant au cours de la discussion, les voisins ont rétorqué à mes parents:
« Vous savez, des comme vous, on en a sauvé pendant la guerre… »
Comment interpréter cette phrase?
Antisémitisme, condescendance, jalousie, peur?
Peut-être un peu de tout cela…
Qui sont ces justes qui ont (réellement) sauvé des juifs pendant la guerre et pourtant capables de prononcer cette phrase terrible.
Évidemment il est inconcevable de mettre ces gens sur le même plan que des collabos. Les premiers ont sauvé la vie de juifs tandis que les seconds ont contribué à leur mort.
Mais l’attitude des voisins de mes parents n’est elle pas révélatrice d’une autre forme d’antisémitisme?
Celui qui consiste à décréter que les juifs ont une dette infinie envers les français qui les ont aidé.
Celui qui consiste à avoir de l’empathie envers les juifs uniquement quand ils sont en difficulté.
Celui qui consiste à refuser aux juifs le droit de s’affirmer même dans des situations dans lesquelles leur identité n’est pas sensée être en jeu.
J’ai toujours préférer juger les individus sur leurs actes plutôt que sur leurs paroles, même malheureuses.
Je n’oublierai jamais nos voisins.
Je me souviendrai avec la même force de ceux qui ont à la fois sauvé mes semblables et qui, plus tard, m’ont fait découvrir avec leurs mots l’antisémitisme terrifiant de ceux qui était dans le camp d’en face.