La spécificité des campements juifs et l’antagonisme avec les partisans soviétiques : extrait de “Le juif qui savait” de Dina Porat

Dans les forets de Lituanie, les partisans juifs se sont battus contre les nazis mais aussi pour la préservation de leur identité. En s’inspirant de l’éthique et de la discipline du judaïsme. 

 

Extrait:

Kovner, Yurgis et d’autres veillent de près à ce que le commandement soviétique qui, ailleurs, se comportait assez mal avec les femmes, n’applique pas le même traitement aux jeunes villes juives. La marge de manoeuvre est étroite, tant les soviétiques ont une piètre opinion des couples et de la présence de filles et dans les campements. De fait, l’égalité et la mixité qui régnaient parmi les Juifs était un cas presque unique au sein de la partizanska. Côté discipline, il était hors de question d’enfreindre une règle. De même est-il interdit d’égarer son arme, de s’endormir pendant son tour de garde ou d’étaler devant les autres de la nourriture appétissante dérobée ici ou là. En principe, il est également interdit de tomber enceinte et d’accoucher, encore que les témoignages divergent sur ce qu’il advenait des quelques bébés nés dans la forêt. Une chose est sûre : il n’y avait ni délibérément, ni jurés, ni faveurs. Soit on obéissait aux ordres, soit on s’exposait aux sanctions

En dépit des intimidations soviétiques, le caractère juif des campements n’en est pas moins préservé : châtiments corporels et exécutions y sont proscrits. Les partisans non juifs achevaient leurs blessés s’ils n’étaient plus capables de se déplacer, chose impensable chez les Juifs. Kovner dispense ses ordres en yiddish, en hébreu pas en russe. Aucun jour de repos n’est accordé pour les fêtes. Du reste, nul ne se souvenait quand elles tombaient et, entre les réunions où chacun recevait ses instructions, les tours de garde et les « sorties » qui pouvaient durer plusieurs jours, ils avaient l’esprit ailleurs. En revanche, il va sans dire que le 1er Mai et autres fêtes soviétiques étaient célébrées et des invités de marque parfois conviés. Et quand, au printemps, Moscou va parachuter des journaux, les partisans, qui n’avaient pas vu une page imprimée depuis des mois, organisèrent des veillées pour lire les articles à voix haute, les commenter et discuter des dernières nouvelles du front.

Leur base était pour ainsi dire leur chez-soi et, chaque fois qu’ils la quittaient pour partir en expédition, ils avaient hâte de retrouver sa chaleur. Ils étaient devenus comme des frères et des soeurs d’armes les uns pour les autres, écrit Kovner. Dans un roman intitulé Les Partisans, où l’écrivain israélien Aharon Appelfeld évoque un campement juif dont les jeunes combattants harcèlent les nazis sous le commandement d’un certain « Kamil » après avoir été enfermés des mois durant dans un ghetto, on lit ceci à propos de la fraternité qui se noue peu à peu entre eux: « Il faut rappeler que nous sommes à présent quarante-sept, possédant chacun son visage et sa part de destin. Et dire aussi la vérité : ce collectif est fort et soudé. Nous donnons tous une part de nous au groupe, dans chaque expédition et recevons en retour quelque chose de cette essence collective singulière. » Voilà qui pourrait parfaitement s’appliquer à la brigade juive de Kovner, de même que ce passage : « Celui qui rentre le matin la base n’est pas tout à fait le même homme que celui qui est parti la nuit. » Pour les jeunes de Wilno, les feux de camp sont le seul lieu de sociabilité et leur seul moment de répit, là où ils peuvent aussi donner libre cours à leur tristesse, à leur mélancolie ou à l’introspection. Tous les acteurs de l’époque raconteront plus tard que lors de ses veillées, les partisans, crasseux, barbus et infestés de vermines, chantaient à voix basse des chants qui les transportaient aussitôt « là-bas », vers leurs foyers anéantis.

Si les régiments juifs dépendent du commandement soviétique, ils ne dissimulent ni leur judaïsme ni leurs convictions sionistes…

 

Dans les forets de Lituanie, les partisans juifs se sont battus contre les nazis mais aussi pour la préservation de leur identité. En s’inspirant de l’éthique, de la discipline et de l’égalitarisme du judaïsme. 

 

 

Le Juif qui savait. Wilno-Jerusalem: la figure légendaire d’Abba Kovner.