Quand les tatars musulmans s’opposaient à la colonisation juive en Crimée

Le contexte:

Après leur victoire lors de la Révolution Russe, les bolcheviks mirent en place un plan de colonisation de la Crimée par les Juifs.

L’objectif était d’accorder une autonomie aux Juifs afin qu’ils s’émancipent et qu’ils deviennent des agriculteurs. Ils pensaient qu’ainsi les Juifs finiraient par se faire accepter par une population traditionnellement antisémite. Cette intégration était une condition nécessaire à l’union des travailleurs russes de toutes les origines et de toutes les confessions.

Au début de leur installation en Crimée, les tatars musulmans qui vivaient déjà dans la région virent d’un mauvais oeil les faveurs que les bolcheviks accordaient aux Juifs. Les autorités russes accusaient alors les tatars d’antisémitisme pour les décrédibiliser et mener à bien leur projet. Ils organisèrent alors une sévère répression contre ceux qui étaient accusés d’antisémitisme.

 

Extrait du livre de  David Muhlmann, Territoires de l’exil juif: Crimée, Birobidjan, Argentine

« La résistance tatare à l’implantation des colons juifs en Crimée constituait une source de préoccupation constante. Décimés par des décennies de guerre et de mauvais traitements par les Russes, les Tatars avaient accueilli avec espoir la victoire des bolchéviks en 1917. Ils avaient célébré la révolution russe car les nouveaux maîtres du Kremlin, qui voulaient alors s’assurer du soutien tatar, avaient pris une décision encourageante, sous la signature de Staline, en 1917 : « Musulmans de Russie, Tatars de la Volga et de Crimée, vos croyances et vos coutumes, vos institutions culturelles et nationales sont désormais libres et inviolables. Organisez votre vie nationale en complète liberté. Vous en avez le droit. Sachez que vos droits sont sous la protection puissante de la révolution et de ses organes » Lorsque le pouvoir soviétique planifia une répartition des terres pour la colonisation juive, les Tatars refusèrent de se plier à cette politique qui les désavantageait. Il en résulta un fort sentiment antitatar parmi les organisations nationales (KOMZET, OZET) et internationales (JDC, Agro-Joint) qui œuvraient pour les Juifs, ce qui renforça en retour la pression de Moscou sur la communauté tatare. C’était là pure stratégie de la part du pouvoir, puisque son soutien à la colonisation juive relevait moins d’une politique des nationalités que de l’opportunité d’un développement agricole et technologique « à bon marché » (grâce à l’appui de la JDC et de l’Agro-Joint) de la Crimée, avec les profits en termes d’image et de propagande. Le philosémitisme affiché fut l’occasion de mater la rébellion nationale tatare, et de mettre au pas ses représentants. En 1927, au nom des « droits de la capitale », Yuri Larine condamna officiellement l’attitude du Tatar Veli Ibrahimov (le chef du Parti communiste de Crimée) au Comité du soviet central ; Ibrahimov fut exécuté en mai 1928, et il s’ensuivit une purge de ses partisans, accusés d’« ibrahimovisme », c’est-à-dire d’antisémitisme. Tant que le projet juif constituait un levier économique et politique, et qu’il permettait de profiter de l’aide internationale (ce dont ne pouvaient se réclamer les Tatars), Moscou le soutint. »

 

Commentaire:

Pour les communistes le nationalisme est acceptable quand il permet l’émancipation de peuples qui épouseront ensuite leur cause. Les communistes sont des internationalistes mais considèrent que pour les peuples opprimés, le nationalisme est une transition nécessaire

Sur la question juive spécifiquement, les bolcheviks ont théorisé une nouvelle  forme d’antisémitisme, l' »ibrahimovisme », pour décrédibiliser ceux qui s’opposaient à leur projet (les tatars). Il s’agissait en fait d’un pseudo-antisémitisme sous couvert d’un pseudo-philosémitisme..

Certains oseront aujourd’hui un parallèle avec la colonisation juive en Palestine des années 1940. En essayant de montrer que les juifs ont essayé par le passé de conquérir une terre musulmane avec l’aide des autorités russes et américaines. Un soutien qu’ils compareront à tort avec celui des pays de de l’ONU qui ont voté favorablement pour la création d’Israël en 1948.

Cet épisode montre enfin que les Juifs ne doivent pas être trop dépendants de leurs alliés spirituels et financiers car leur sincérité est discutable.

Philosémitisme, antisémitisme, les deux faces de la même pièce?