Solidaire?
Considérée comme une vertu, la solidarité devient souvent une injonction. Elle est même parfois constitutive d’un programme politique ou d’une idéologie. Il faut être solidaire de sa famille, de ses amis, de ses voisins, ou de ses concitoyens. Mais aussi de gens que l’on ne connait pas, qui ne nous ressemblent pas mais dont on devrait partager les souffrances.
Certains sont solidaires de ceux qui sont issus du même milieu social; on parle de solidarité de classe. La solidarité communautaire quant à elle relie des individus qui ont les mêmes origines ou la même religion. Enfin, d’autres sont solidaires de tout et de tout le monde: je suis Charlie, je suis juif, je suis policier, je suis toutes les victimes de la terre. Ici s’opère une identification à l’ensemble des malheureux et des victimes.
Ce qui m’insupporte dans cette solidarité à tout va, c’est l’effacement de l’individu au profit du collectif. La solidarité nous lie aux autres mais tend à compromettre notre authenticité. Car s’identifier, c’est tenter de se confondre avec quelqu’un au détriment de certains aspects de notre personnalité.
Pour moi, la solidarité découle d’une situation particulière spécialement quand elle est douloureuse. Il s’agit de s’allier, même symboliquement, avec des individus confrontés aux mêmes difficultés.
Concernant l’identité juive, je ne suis pas solidaire de tous les juifs, car nous sommes trop différents politiquement, culturellement, religieusement et psychologiquement. Mais face à l’antisémitisme, la nécessité de survivre place la solidarité au dessus de nos antagonismes.
Reconnaissons toutefois que cette solidarité n’est que temporaire. et qu’elle n’est pas absolue. D’ailleurs je ne l’érige pas au rang de valeur. Elle n’est que la conséquence d’une situation et une posture pour survivre: une fois le danger écarté, la solidarité s’efface et laisse place aux chemins personnels.
La solidarité d’ordre affective est certainement la plus naturelle, voire la plus irrationnelle. On est solidaire des membres de sa famille, de ses amis ou de ses proches en général. La solidarité n’est ici pas nécessairement liée à ses intérêts ou à ses valeurs personnels. Elles s’exercent même parfois malgré eux. Prenons l’exemple d’une mère de famille qui défendrait son fils impliqué dans un délit grave. La solidarité peut alors s’avérer nuisible, y compris pour celui qui l’exerce.
Dans ce registre psycho-affectif, on peut également parler de la solidarité par projection. On s’imagine dans la peau de quelqu’un qui souffre ou qui vit un drame. On souffre alors avec lui et on se dit solidaire bien que notre souffrance n’aura jamais d’égal la sienne. On se croit altruiste alors qu’on est en fait égoïste en s’appropriant le malheur d’un autre. Cette solidarité révèle aussi la peur de vivre une situation semblable.
En conclusion, je dirais que la solidarité n’est ni gratuite, ni absolue. Obliger un individu ou une communauté à être solidaire, c’est une forme de violence. Car cette injonction nie les différences entre les individus et nous pousse à épouser une cause qui n’est pas toujours la notre. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques des régimes autoritaires.
La solidarité doit rester naturelle et circonstancielle. Elle n’est pas une démarche volontaire mais un sentiment que l’on accueille et qui nous amène à agir en s’affranchissant de la morale.
Un peu comme l’amour…