Plaidoyer de Léo Glaeser pour l’unité des juifs
Très beau texte de Léo Glaeser, publié dans le journal résistant et clandestin « Unzer Kempf ».
Léo Glaeser était un avocat français, un résistant français investi dans le Comité Amelot et une victime de la Shoah.
Dans cet article, il se positionne en faveur de l’alliance entre les juifs français et étrangers, condition indispensable à la défense des intérêts juifs et au rayonnement du judaïsme. Constatant leurs différences et leur méfiance réciproque, il est persuadé que la participation à des activités communes effacera progressivement leurs antagonismes.
VERS UNE REPRÉSENTATION UNIFIÉE DES JUIFS DE FRANCE
Article de Léo Glaeser extrait de « Unzer Kempf »
(Novembre 1943) Traduit du Yiddish
L’union de toutes les forces vives de la population juive émigrée en France
commence à porter ses fruits. Elle promet déjà beaucoup de résultats
positifs. Notre union n’atteindra cependant sa véritable dimension que
lorsque des représentants des Juifs français et établis depuis plusieurs
générations nous auront rejoints. Une représentation unifiée des Juifs de
France ne se réalisera qu’en collaboration étroite avec des citoyens juifs nés
en France ou tout au moins avec leur accord. Son objectif sera d’exiger, puis
de sauvegarder nos droits en tant qu’êtres humains et citoyens ;puis de
panser les plaies du corps juif exsangue et de réparer les dommages moraux
et matériels que nous avons subis. Seul un tel organisme représentatif aura
l’autorité et l’efficacité pour formuler nos droits légitimes à l’échelle
mondiale en liaison avec les communautés juives des autres pays.
L’heure est proche où les peuples libérés poseront les assises d’une nouvelle
politique qui régira leurs relations amicales. Ce sera un jour de fête tel qu’on
n’en a pas connu de semblable dans l’histoire. C’est de notre détermination
réfléchie que dépendra le destin de notre peuple pour les siècles à venir.
Mais cette collaboration entre Juifs français et nous est-elle compatible avec
la réalité ? Nous en sommes convaincus. De toute façon c’est dans cette voie
que nous nous engageons avec espoir de succès. Pourtant beaucoup
d’émigrés sont persuadés qu’un gouffre les sépare des Juifs autochtones :
« Ils nous détestent et ne veulent avoir aucune relation avec nous, leur seul
désir serait de se débarrasser définitivement de nous ! »
Nous formulons ces opinions désabusées en termes crus, sans les déguiser
parce que l’homme juif aime les pensées claires lorsqu’on aborde des thèmes
aussi douloureux que la xénophobie qui s’exprime à l’encontre des frères
d’un même peuple. Nous pensons cependant que cette appréciation sévère
sur le comportement des Juifs français n’est pas justifiée. Il est naturel que
des frictions deviennent inévitables entre gens qui se différencient par leur
langue et leurs mœurs et c’est précisément parce que ces gens sont nos frères
que ces conflits éveillent chez les plus faibles un sentiment douloureux et
exagéré, un écœurement emprunt d’amertume. Il faut prendre également en
compte que le statut économique et les choix idéologiques des juifs établis
sont forts différents des masses juives émigrées. Mais partout où des Juifs
français rencontrent des nôtres autour de centres d’intérêts communs dans
leurs ateliers, dans leurs professions libérales, dans les organisations sociales
ou des partis politiques ou encore lorsque des enfants fréquentent l’école,
des jeunes gens l’Université, bien des frictions et beaucoup de malentendus
s’évanouissent. D’illustres représentants de la communauté française
regrettaient déjà avant la guerre la rupture entre eux et nous. Ils faisaient
activement des tentatives de rapprochements qui étaient déjà effectifs dans
beaucoup de domaines sociaux.
De nos jours, beaucoup de Juifs français comprennent que dans les
profondeurs de la conscience des peuples sont ensevelis des trésors dispersés
d’une culture juive. C’est l’héritage que nous ont transmis nos parents et nos
arrières grands-parents. Ils se manifestent dans nos dialectes populaires, nos
traditions, nos refrains, nos plaisanteries et le moindre de nos proverbes.
Mais de leurs côtés, les juifs émigrés ne doivent pas sous-estimer une
certaine façon de penser, sentir et agir que les Juifs français ont acquis à la
suite d’un contact prolongé avec la nation française. C’est le reflet d’une des
plus importantes civilisations du monde. La France est la patrie du bon goût
et de l’esprit. C’est aussi la nation française qui a proclamé à la face du
monde les principes de Liberté, Egalité et Fraternité. Nous sommes
persuadés que l’unification des judaïtés instituées et immigrées n’est pas
seulement possible mais que son avènement est proche. Une représentation
juive unifiée ouvrira une nouvelle page dans l’histoire des Juifs de notre pays,
une page d’efficacité dans la défense des intérêts des masses juives et dans le
combat pour la conquête de droits égaux pour les citoyens de tous les pays.
Source :
http://www.gildasbernier.fr/…/2…/08/L%C3%A9o_unzer_Kempf.pdf