Le premier train allemand à sauter en Europe : l’exploit de la FPO

Tiré du livre  » Le juif qui savait Wilno-Jérusalem: la figure légendaire d’Abba Kovner »


L’exploit le plus spectaculaire de la FPO (Fareynikte Partizaner Organizatsye) a lieu en juin 1942. Dans toute l’Europe occupée, il revient en effet au groupe d’Abba Kovner d’avoir réussi à faire dérailler le premier train allemand rempli de soldats et de munitions. Au début du mois, le commandant-poète entreprend donc, avec l’aide de Borukh Goldstein, de confectionner une mine artisanale en suivant à la lettre les instructions d’un manuel finnois traduit en russe, retrouvé au YIVO et que Kovner étudie de bout en bout.
 
Pendant ce temps, Vitka fait plusieurs allers et retours entre le ghetto et la voie ferrée qui s’enfonce dans la forêt, au sud de Wilno. Elle sort seule, de nuit, déguisée en paysanne, toujours teinte en blonde et munie de faux papiers. Il fallait trouver où placer la mine car des hangars étaient disposés en enfilade le long des rails et de nombreux Juifs y travaillaient. Il était donc hors de question que les Allemands les soupçonnent. Pour un Allemand tué, cent Juifs risquaient d’être fusillés. La Résistance ignore aussi les horaires des trains et les mesures de sécurité prises par les Allemands, mais ils apprennent que des convois transportant des troupes doivent passer par Nowa-Wilejka. En repérage, Vitka consacre donc plusieurs nuits à observer la voie, tapie dans les fourrés. Le 8 juin, elle quitte à nouveau le ghetto, cette fois accompagnée par deux membres de la FPO désignés par Kovner: Yitskhok Matskevitch et Moyshe Brauze. Car encore fallait-il transporter la mine, particulièrement lourde.
 
Ils finissent par installer le tube bourré de poudre sous les rails, dans un trou recouvert de sable, sur un pont, au-dessus d’une gorge, à une vingtaine de kilomètres de la ville. L’emplacement idéal : en écrasant le détonateur, la locomotive déclencherait l’explosion. Peu après, le commando, caché entre les saules, entend le train approcher, dix, vingt, trente wagons, suivi d’une énorme explosion : les premiers wagons sont projetés dans le vide et les suivants s’immobilisent dans un nuage de fumée.  » Une flopée de wagons remplis d’armes et d’Allemands, roulant à grande vitesse en direction de Polock, sont mis en pièces » écrit Sutzkever. Le lendemain, ils apprennent qu’il y eut cent morts, des soldats, sans compter les blessés. Vitka et ses deux camarades regagnent aussitôt le ghetto.
 
Les chefs de la FPO les attendent dans une cave, l’euphorie gagne à l’annonce du succès de l’opération et Yitzhak Wittenberg décide de fêter l’événement en ouvrant une bouteille de vodka. Les Juifs ne sont pas soupçonnés, mais il y avait quand même quelque chose d’un peu suspect étant donné qu’aucune unité de partisans soviétiques n’opérait dans la région. Les deux fidèles amies, Ruzka et Vitka, celle-ci blessée aux jambes, sont assises l’une à côté de l’autre. Ruzka lui demande ce qu’elle avait ressenti au cours de toutes ces nuits passées à observer, seule, dans la forêt. « À accomplir ma mission et à ne pas tomber vivante entre leurs mains « , lui répond Vitka, « d’autant plus que je n’avais pas de cyanure ». Hirsh Glick écrit alors un poème en hommage à Vitka, la dépeignant en train de quitter la forêt, épuisée, une arme à la main, rapportant une victoire « à notre génération de nouveau libre ». La mission de Vitka marque le premier acte de sabotage de ce genre dans toute l’Europe occupée par les nazis.
 
Six mois plus tard, le 31 décembre 1942, à la veille du Nouvel An, Abba Kovner et Rachel Markowicz font dérailler un deuxième train, suivi de plusieurs autres. Quand un convoi transportait vers le front de l’Est des soldats de la Wehrmacht n’ayant pas servi dans le ghetto de Wilno, dont certains étaient même blessés, les jeunes partisans se sentaient parfois coupables, mais il s’en trouvait toujours un pour crier: « Voilà pour Ponary !  » « En ce qui me concerne, dira Vitka, je n’ai jamais éprouvé la moindre culpabilité : je faisais ce que j’avais à faire. Abba, lui, avait parfois la conscience un peu lourde.  » Du reste, comme il s’avouerait lui-même par la suite sans jamais vraiment préciser pourquoi : Saul, son double,  » se voulait innocent et son sentiment de culpabilité pesait sur son coeur telle une pierre brûlante « .
 
En plus des trains, les partisans sabotent tout ce qu’ils peuvent : Yitzhak Ratner introduit des produits chimiques dans les réservoirs d’essence de quatorze tanks de façon à ce qu’ils prennent feu au bout d’un certain nombre de kilomètres ; Goldstein retire les chargeurs de quatre-vingt-dix fusils-mitrailleurs ; Vazgel et Glezer dévissent les essieux de cinq camions, ainsi mis hors d’usage. Un garçon de dix-sept ans, Leibke Distel, serrurier de formation et employé sur un site de défense aérienne, parvient à détraquer quarante-trois canons Zenith entre avril et juillet 1942. Un des plus doués était Zelig Goldberg, un ancien ingénieur, qui réussit à percer les réservoirs de kérosène de cinquante avions au lieu de les réparer. On doit aussi aux partisans de la FPO d’avoir mis le feu à la peausserrie de Kailis en janvier 1942, où soixante mille peaux devaient être envoyées aux soldats se trouvant sur le front, puis d’avoir incendié un dépôt d’essence, en profitant de la somnolence du gardien.