Jacqueline et Julien Chronique de la communauté juive parisienne.

1998
Julien a 20 ans et vit avec sa mère Jacqueline 55 ans à Saint-Maurice dans le Val de Marne. Cela fait environ deux ans que je les croise dans la rue mais je ne leur ai jamais vraiment parlé. Quand on se voit, on se salue, pas de façon particulièrement chaleureuse mais cordialement. Toutefois leur contact ne m’est pas désagréable. Tout ce que je sais de leur situation, je l’ai appris de Robert, un voisin dont je suis proche et qui a eu l’occasion de discuter avec eux.
Julien a arrêté l’école après le bac et enchaine depuis 1 ans les petits boulots. Jacqueline est employée dans une librairie. Jacqueline et Francis sont divorcés. Francis vit dans le Sud de la France. Je ne connais pas les raisons de leur divorce. Je sais seulement que Jacqueline et Julien voient peu Francis mais que leurs relations avec lui ne sont pas mauvaises pour autant.
Nous ne connaissons rien de la vie amoureuse de Julien mais personne ne l’a jamais vu avec une fille. A chaque fois qu’on le rencontre, il est avec sa mère. Julien est vraisemblablement ce qu’on appelle couramment « un vieux garçon ».
Il n’y a pas grand chose de plus à dire sur cette mère et son fils. Ils ne respirent pas la joie de vivre mais n’ont pas l’air malheureux. C’est la monotonie qui transparait chez eux.
2019
J’ai déménagé en 2000 et j’ai rarement eu l’occasion de revenir dans mon ancien quartier.
J’y suis retourné voilà deux mois pour un rendez-vous médical.
J’ai été assez surpris de croiser Jacqueline et Julien à cette occasion. Ils habitent donc toujours dans la même rue. Ils n’ont quasiment pas changé physiquement non plus. Quand je les ai vu marcher côte à côte, j’avais l’impression de revenir vingt ans en arrière.
Bien sûr, je ne connais pas le quotidien de Jacqueline et Julien. Peut-être que Julien est en couple, a trouvé un travail fixe. Jacqueline est sûrement à la retraite. Leur vie est-elle différente? Sont-ils heureux?
A vrai dire, cela n’a pas vraiment d’importance pour moi. Je n’ai d’ailleurs pas cherché à en savoir plus.
Tout ce que retiens de cette rencontre, c’est une famille qui n’a pas changé en 20 ans.
J’ai eu un sentiment mitigé.
Au début, je trouvais un peu triste l’idée d’habiter toujours au même endroit, d’avoir une vie monotone, de ne pas évoluer…
Mais finalement j’ai trouvé que c’était aussi une grande force.
Depuis mon déménagement de nombreux événements ont boulversé le monde comme le 11 septembre et la guerre en Irak. En France, nous avons vécu le Front National au deuxième tour, la tuerie de Charlie Hebdo, les attentats de novembre 2015…
Des progrès aussi: les évolutions technologiques, le développement d’internet, l’avènement des smartphones, la création des réseaux sociaux….
Même le quartier de Jacqueline et Julien n’est plus le même que 20 ans auparavant.
Pourtant la mère et le fils sont toujours là. Ils ont survécu au sens propre comme au figuré à tous ces changements et sont restés eux-mêmes. N’est ce pas quelque part une victoire dans un monde tout le temps en mouvement et qui laisse beaucoup de personnes sur le carreau?
Dans la société actuelle nous croyons que pour être heureux, nous devons toujours nous réinventer.
C’est en partie vrai.
Mais l’épanouissement ne passe t-il aussi par une forme de stabilité? Trouver la force de rester soi-même dans un monde en constante évolution et qui ne sait pas toujours où il va.
Finalement, ceux que nous considérons comme des losers parce qu’ils ne changent pas sont peut-être les vrais gagnants de la vie.