Entre loi et morale : La quête de Vengeance de Tony Cimo

« Pendant quatre ans », écrivait Art Harris dans le Washington Post, « [Tony Cimo] demeura éveillé la nuit, hanté par le meurtre à la carabine de ses parents, propriétaires d’une épicerie, dont le tueur, disait-on, riait depuis le couloir de la mort, tandis que les tribunaux ordonnaient de nouveaux procès et que les appels s’éternisaient. ‘Je rêvais sans cesse de lui riant alors que ma mère suppliquait pour sa vie’, se souvient-il. ‘Aussi net que l’image d’une télévision, je continuais à voir ma mère et mon père, allongés dans une mare de sang.’ »

C’est un 18 mars 1978 que tout se joua, lorsque Rudolph Tyner, tenant un fusil à pompe, pénétra dans le magasin. Carlton Davis conduisait la voiture de fuite. Selon Tyner, il demanda de l’argent et Bill répondit simplement : « Non. » Tyner appuya sur la détente, tuant Bill sur-le-champ. Myrtie, pris de panique, se mit à hurler et Tyner la tua également. Deux vies, fauchées pour 200 dollars.

Pendant de longues années, Myrtie et Bill Moon tenaient leur petite épicerie près de Murrell’s Inlet, en Caroline du Sud. Bill, le beau-père de Tony, ancien sergent-chef dans l’Air Force et vétéran du Vietnam, était réputé pour sa générosité envers ceux qui ne pouvaient pas payer leurs courses.

Ce fut la sœur de Cimo qui l’informa du vol, et il se précipita immédiatement vers le magasin. « Je regardai par-dessus le comptoir, et mes parents étaient là, allongés dans une mare de sang », confia-t-il. « Ma mère avait un trou béant dans la poitrine, assez large pour y enfoncer mon poing. J’ai senti son pouls, mais il n’y en avait plus. Mon père non plus. Tout ce que je pouvais entendre, c’était le battement frénétique de mon propre cœur. La caisse enregistreuse était ouverte. »

Le fils bouleversé saisit une douille de fusil abandonnée sur le sol et jura de venger ses parents, sur le champ.

Il crut que la vengeance se ferait au tribunal. En effet, Tyner et Davis furent rapidement appréhendés. Jugés, Davis fut condamné à la prison à vie, tandis que Tyner reçut la peine capitale. Le meurtrier fut envoyé dans le couloir de la mort, et les enfants de Myrtie et Bill attendirent l’exécution de son châtiment.

Mais cela ne se produisit pas. Un an après sa condamnation, la Cour suprême de Caroline du Sud annula le jugement sur un vice de procédure. C’est alors que Cimo prit conscience que l’État n’avait plus procédé à aucune exécution depuis 1962, et que même si Tyner se voyait à nouveau condamné à mort, il faudrait des décennies avant qu’il ne soit exécuté.

Cimo chercha donc un tueur à gages en prison. Il trouva alors le pire tueur en série de Caroline du Sud, Donald « Pee Wee » Gaskins, un homme de 1,57 mètre, emprisonné pour 8 meurtres et condamné à une peine de 900 ans. Les deux hommes commencèrent à conspirer à distance, au cours de longues conversations téléphoniques, certaines étant secrètement enregistrées par Gaskins.

Après quelques échecs (l’empoisonnement de Tyner n’ayant pas fonctionné), Gaskins indiqua à Cimo de lui envoyer trois bâtons de dynamite, et le travail serait fait.

Harris rapporte que Gaskins « prépara des explosifs dans une tasse, qu’il surmonta d’un haut-parleur de radio, en disant à Tyner qu’il pourrait lui parler s’il branchait l’appareil à un cordon d’extension sous leurs cellules. Tyner porta la tasse à son oreille. Gaskins brancha le câble et fit littéralement exploser la tête de Tyner. »

Cimo fut rapidement appréhendé. Dans sa confession, il expliqua n’éprouver aucun remords pour ses actes, et qu’il recommencerait sans hésiter. Il plaida coupable de complicité dans un meurtre et fut condamné à huit ans de prison. Il fut libéré sous condition après avoir purgé deux ans et demi.

En quittant la prison, il confia aux journalistes : « Je ne pense pas que le bon Dieu me tienne rigueur de ce que j’ai fait. »

Cimo mourut en 2001, à l’âge de 54 ans.

Quant à Pee Wee Gaskins, il fut jugé, condamné et reçu la peine capitale pour le meurtre de Tyner. Dans un retournement ironique, la Caroline du Sud reprit les exécutions, et en 1991, Gaskins se retrouva sur la chaise électrique. Tout comme Cimo, il n’éprouva jamais le moindre remords pour avoir tué Tyner.


Commentaire :

Cette histoire bouleversante n’a pas de lien direct avec le judaïsme, d’ailleurs aucun des protagonistes, à ma connaissance, n’est juif. Pourtant, elle recèle une morale qui ne laisse pas indifférent ceux qui sont imprégnés ou sensibles à la morale juive.

En effet, Tony Cimo s’est vengé, et cette vengeance, compte tenu des décisions injustes des tribunaux, aurait pu être perçue comme « morale ». Une morale qui n’est pas étrangère à la nature du judaïsme, que l’on le conçoive d’un point de vue religieux, spirituel ou intellectuel. La loi du Talion est bien connue dans le judaïsme, bien que son interprétation et son application puissent prêter à discussion.

Mais nous ne pouvons nous empêcher de penser à plusieurs figures juives qui ont voulu venger les leurs, comme Sholem Schwartzbard, un Juif d’origine russe, naturalisé français en 1925, particulièrement connu pour avoir assassiné le leader nationaliste ukrainien Simon Petlioura à Paris en 1926, en raison des pogroms dont il le tenait pour responsable. Il y a aussi ce Juif d’origine polonaise, connu pour avoir abattu à Paris, le 6 novembre 1938, Ernst vom Rath, troisième secrétaire à l’ambassade d’Allemagne.

Comment ne pas évoquer également Abba Kovner, qui fonda le groupe des Nakam, visant à se venger des responsables de la Shoah, avec des actions dirigées contre des civils et des prisonniers allemands ?

Nous devons aussi nous interroger sur la nature du mal, mais aussi sur l’utilisation du mal pour faire le bien. Le Talmud dit : « Rien n’interdit d’utiliser le mal pour faire le bien. » C’est à ce passage du Talmud que s’est inspiré le rabbin Chaskel Wezburger pour se convaincre de faire appel à la terrible mafia sicilienne américaine afin de sauver des enfants juifs en Italie.

Cette démarche est du même acabit que celle de Tony Cimo, qui a engagé Pee Wee Gaskins pour se débarrasser de Tyner. Il faut rappeler que Pee Wee Gaskins était un tueur en série sadique et sans cœur. Cependant, Cimo, dans sa quête de vengeance, a utilisé un moyen « maléfique » pour tenter d’obtenir sa justice.

Il est également important de souligner que cette histoire a une morale. Cimo a été condamné à une peine de prison, qui fut réduite, ce qui signifie qu’il n’a pas passé beaucoup de temps en détention et a pu recouvrer la liberté. Quant à Pee Wee Gaskins, cet immonde tueur en série, occasionnellement bras armé de Tony pour éliminer l’insensible Tyner (rien n’empêche d’utiliser le mal pour faire le bien), il a finalement été condamné à mort pour la vengeance initiée par Cimo (alors qu’il avait échappé plusieurs fois à la peine capitale, car la peine de mort avait été abolie en Caroline du Sud).

D’une manière générale, « tout est bien qui finit bien » pourrait-on même dire, si l’on considère que le meurtre, bien que profondément négatif, a mené à la « justice » et à la conclusion de cette tragédie.