La délinquance juive dans le nord de la France pendant la révolution
Etat des lieux et analyse des causes de la délinquance au sein de le communauté juive pendant la révolution.
Existait-il une délinquance spécifiquement juive à cette époque ?
Texte tiré de la la revue Archives Juives
Grand banditisme et petite délinquance sévissent durant les années de la Révolution française en Artois ainsi que dans le Boulonnais et dans certaines parties de la Flandre et du Hainaut – soit les deux départements actuels du Nord et du Pas-de-Calais. Parmi les auteurs de ces crimes et indélicatesses se trouvent quelques Juifs, en moins grand nombre toutefois que les non-Juifs. Et c’est surtout vers 1794-1796 que la population souffre le plus de leurs ravages.
En même temps, s’établissent dans les principales villes les premières communautés juives, toujours existantes de nos jours mise à part celle de Saint-Omer. Y aurait-il une relation de cause à effet entre l’apparition de ces communautés et l’émergence d’une délinquance juive dans la région ? La question peut paraître être impertinente mais mérite d’être posée. Pour y répondre, il convient d’évoquer les faits puis de les confronter à l’histoire des communautés juives ainsi qu’à l’histoire économique et politique spécifique aux deux départements
Un constat : l’émergence du grand banditisme et de la petite délinquance
En 1795-1796, deux bandes de brigands, parmi d’autres, écument les villes et les campagnes du nord de la France. L’une, commandée par un certain François Salembier, limite l’aire de ses méfaits à la région Nord/Pas-de-Calais avec des incursions jusqu’à Amiens ou Abbeville. Elle est en partie composée de Juifs . L’autre, la « bande à Picard Caudechaud » , sévit sur un territoire beaucoup plus étendu, entre la Hollande et Paris, et les Juifs y sont majoritaires.
Lorsque Salembier est arrêté le 24 novembre 1796, sa bande de chauffeurs, de pilleurs voire d’assassins met à mal la région de Saint-Omer, dont il est originaire, depuis plus d’un an. Lors de ses interrogatoires, de l’hiver à l’été 1797, il livre les noms de ses acolytes parmi lesquels ceux des Juifs Bernard Lion, Mayer, Picard, Simon et, précise-t-il, « une infinité d’autres juifs ». À la suite de ces aveux, les arrestations déciment la bande au début de 1797. L’accusateur public du tribunal criminel du département de la Lys (Bruges) peut dresser une liste de 62 noms de brigands avec 26 délits à leur actif. Finalement, 41 d’entre eux comparaissent en septembre 1798 devant le tribunal de Bruges. Un seul Juif se trouve parmi eux, les autres ayant réussi à échapper à la police, et il fait partie des 14 acquittés.
En plusieurs occasions, les deux bandes se sont associées pour accomplir leurs méfaits. Pourtant, la bande à Picard Caudechaud ne manque pas de complices, hommes et femmes. Son histoire est connue grâce aux aveux de Dina Jacob, femme de Picard Caudechaud, qui, lorsque son mari est arrêté au début de 1796, est prise de remords et finit par aller se confier au directeur du jury de l’arrondissement de Tournai. Cette bande se ramifie en sept brigades, de 20 à 60 individus chacune, soit 200 individus ou plus selon Dina Jacob. Ces brigades sont installées à Bruxelles, à Anvers, à Tournai – cette dernière menée par Picard Caudechaud lui-même –, en Hollande, à Lille, à Amiens et à Paris. Cette dispersion géographique permet la mise en place d’un véritable holding de la délinquance autour de la famille Jacob, parents, frères et beaux-frères de Dina Jacob. Les tâches sont équitablement réparties: aux jeunes hommes les actions risquées (vols, voire assassinats), tandis que les femmes travaillent à l’évasion des maris incarcérés et parviennent parfois à soudoyer des magistrats, soignent les blessés – le métier de brigand n’est pas sans danger – et s’emploient à faire disparaître les cicatrices. Quant aux parents de Dina, le vieux couple Moyse et Sara Jacob, ils convertissent en monnaie l’argenterie dérobée et excellent dans la fabrication de faux-papiers. Leur demeure à Gand est le repaire des receleurs. La bande est d’autant plus efficace que ses membres ont élaboré un code pour mieux se reconnaître grâce « à la manière de s’asseoir, de saluer, de mettre leur chapeau ». Ils s’expriment également en un argot émaillé de mots et d’expressions en yiddish qui exclut les non-Juifs de leur cercle.
Dans la même décennie 1790, une quinzaine de Juifs sont poursuivis pour une délinquance nettement moins grave que le brigandage en bandes organisées. La plupart des délits consiste en des vols, en magasin ou à la tire sur les marchés, de marchandises faciles à écouler (petites pièces de tissus, des montres), ou bien encore dans la mise en circulation de faux assignats. La chronologie de ces larcins, telle qu’elle peut être établie à partir d’archives policières, est la suivante :
Février 1792 : Ély (37 ans), de passage à Douai vole nuitamment du tissu dans le magasin de sa logeuse;
Février 1793 : Herman Bresselot (26 ans) demeurant à Dunkerque et Ephrahim Serf (24 ans) demeurant à Bergues sont accusés du vol de tissus et de dentelles dans un magasin à Hondschoote;
Janvier à octobre 1794 : Mayer Mardochée (26 ans), colporteur originaire de Rouen et de passage dans la région, est accusé du vol de montres dans un magasin à Arras, puis de mouchoirs dans un autre magasin à Dunkerque ; à la suite de ces accusations qui paraissent sérieuses, il est interrogé à Dunkerque mais se rebelle et aggrave son cas en proférant des injures contre un agent de la force publique ; enfin emprisonné, il vole un portefeuille ; finalement transporté à la prison de Douai, il s’en évade en fracturant aisément une lucarne. Le codétenu qui l’accompagne dans cette nouvelle aventure est repris dans le jardin mitoyen de la prison mais, lui, parvient à repousser brutalement ses poursuivants;
Septembre 1794 : Louis Salomon (43 ans) et son épouse Victoire Moyse (29 ans), domiciliés à Lille, auraient volé de la dentelle dans un magasin non loin de chez eux ;
Décembre 1794 : Élias Jacob (30 ans) habitant Valenciennes est accusé d’avoir vendu de faux assignats dans les villes du Quesnoy et de Solesmes ; il s’avère qu’un seul de ces assignats est faux, et qu’Élias Jacob ignorait qu’il l’était;
Septembre 1795 : Isaac David (39 ans), venant de Bruxelles, a commis un vol à la tire sur le marché de Lille;
Décembre 1795 : Léon Aaron (26 ans), demeurant à Lille, vole montre et argent à Douai ;
Mai 1796 : Aron Wolf (33 ans) de Maastricht, Salomon Lévy (36 ans) de Metz, Louis Salomon (45 ans) de Lille – le même qui fut accusé avec sa femme d’un vol de dentelles à Lille en 1794 –, Joseph Garçon (20 ans) de Bruxelles sont abusivement accusés de vol à la tire sur le marché de Cambrai. Victimes de la clameur publique, ils parviennent vite à prouver leur innocence, sauf l’un d’eux;
Eté 1796 : Jacob Daniel (32 ans) habitant Lille est accusé de tentative de vol chez un particulier. Sans alibi crédible, il est en difficulté face à l’accusation d’appartenance à la bande à Caudechaud dont l’un des membres porte les mêmes prénom et nom que lui ;
Décembre-janvier 1796-1797 : Lazare Jacob (35 ans) résidant à Saint-Omer, Anne Alphin (36 ans), épouse Jacob, résidant aussi à Saint-Omer, et Mathieu Marix (29 ans), domicilié à Dunkerque, sont accusés d’escroquerie pour avoir vendu, à Bourbourg dans l’arrière-pays de Dunkerque, six plats de cuivre en prétendant qu’ils étaient en argent.
On pourrait ajouter à cette liste une éventuelle affaire d’espionnage dans laquelle un Juif serait impliqué. En novembre 1797, arrive sur le bureau du ministre de la Police générale une lettre de dénonciation concernant Lévy, négociant domicilié à Dunkerque, qui, selon le délateur, serait un agent de l’Angleterre : « […] il vit dans l’abondance sans qu’on sache dans quelle source il puise », rapporte l’auteur de la lettre, qui ajoute : « Sa maison est l’écho de ce qui se passe en Angleterre, c’est à-dire de ce qui se passe de favorable à M. Pitt ». Le ministère délivre alors un ordre d’arrestation, daté du 8 frimaire an VI (28 novembre 1797), et lance une enquête ; malheureusement les archives ne disent rien des suites données à cette affaire.
La majorité de ces délinquants, ou présumés tels, auxquels deux épouses sont associées, sont âgés d’une trentaine d’années. Le plus jeune, qui n’a que 20 ans, voyage dans la région pour rejoindre son frère aîné auquel il est associé dans le colportage de petits objets. Le plus âgé (45 ans) est un père de famille qui vit à Lille ; il est arrêté une première fois avec sa femme. Sur ces 16 personnes, 6 sont de passage et n’appartiennent donc pas aux communautés récemment établies dans les villes du nord de la France. Les 10 autres sont membres de ces communautés, et les noms de certains d’entre eux apparaissent dans les archives d’état civil soit comme déclarants soit comme témoins. La mention du lieu de résidence met en évidence l’existence des principales communautés qui se mettent en place dans cette décennie : Dunkerque et son arrière-pays avec Bergues et Saint-Omer, Lille et Valenciennes. Elle révèle également la circulation de colporteurs juifs dans le nord de la France, en relation avec la Belgique-Hollande (Bruxelles et Maastricht). Enfin, cette chronologie permet de définir une période plus agitée puisque, sur la dizaine de méfaits répertoriés, 8 se situent entre 1794 et 1796.
L’année 1797 marque la fin des enquêtes policières impliquant des Juifs dans la petite délinquance comme dans le grand banditisme. Après cette date, les dossiers d’archives sont muets sur des affaires frauduleuses ou crapuleuses dont seraient responsables des Juifs. Cela signifiet-il la fin du grand banditisme ? On est d’autant plus fondé à le croire que, pour la décennie 1800, des archives ne conservent la trace que d’affaires très mineures. Appelé à dresser la liste des commerçants juifs qui doivent désormais payer une patente, le préfet du Nord lance une enquête auprès de ses subordonnés pour connaître les commerçants qui ont pu être frappés d’une condamnation, ce qui les empêcherait de pouvoir acquérir une patente. Des différents arrondissements du département lui reviennent les six faits suivants : un vol sur le marché de Bailleul en 1802, un vol en 1804 et une escroquerie en 1805 pour l’arrondissement de Cambrai, une escroquerie à Valenciennes en 1807, un vol et une escroquerie en 1808 à Lille. Ces délits ont été perpétrés par des Juifs de passage, venant de Belgique, et tous ont été reconnus coupables et condamnés. Les sous-préfets ne peuvent citer aucun nom de marchand juif de la région ayant été l’objet d’une condamnation, sauf celui d’Henri Cohen.
Le 29 brumaire an XII (21 novembre 1803), Henri Cohen, marchand brocanteur demeurant à Dunkerque, est interrogé car il est soupçonné d’escroquerie lors de la vente de montres dans deux villages proches de Dunkerque (Arambouts Cappel et Steene). Le 16 frimaire an XII (8 décembre 1803), il est condamné à deux mois de prison et à 50 francs d’amende auxquels s’ajoutent les frais de justice. Henri Cohen est bien connu de la communauté juive de Dunkerque : ses trois frères y vivent et ils se portent garants de lui, obtenant ainsi la liberté provisoire du supposé escroc dès le 21 brumaire an XII (13 novembre 1803). À la faveur d’un recensement de 1810, on retrouve Jacob Cohen à la tête d’une famille honnête de la communauté juive de Dunkerque, tandis qu’Henri et Simon Cohen se sont établis à Lille. En 1808, ils prennent tous le nom de Castor. Est-ce pour faire oublier la tache que porte leur nom depuis la condamnation d’un des leurs ? Toujours est-il que cette famille Castor fournit à la communauté de Lille un membre actif sous le Second Empire.
À ces affaires, il faut ajouter la mésaventure survenue à un pauvre colporteur juif de Valenciennes dénommé Bamberg. En juillet 1807, il dénonce deux individus qu’il a surpris en flagrant délit de vol à la tire, et ceci malgré la menace de ces derniers qui lui lancent en « jargon des juifs » : « Ça te coûtera cher. Ne dis rien à la police ». Les deux malfrats, originaires de Belgique, sont connus pour avoir subi plusieurs condamnations pour vol. L’un d’eux avait même été un comparse de François Salembier.
Ainsi donc, dans la décennie 1800, une seule affaire affecte un membre d’une famille juive, par ailleurs sans histoire, de la région. Les autres affaires impliquent des individus inconnus sur les lieux de leurs méfaits.
Une explication possible : l’implantation de communautés juives
Les deux bandes, à Caudechaud et à Salembier, commettent des délits crapuleux qu’une situation économique et politique instable favorise. En effet, les activités de ces criminels s’intensifient au moment où la République française rencontre ses plus graves difficultés.
Économiquement, la situation est de plus en plus désastreuse à partir de 1793-1794. Les journées révolutionnaires et la mise en place de nouveaux gouvernements éphémères désorganisent la production. En outre, les guerres sont coûteuses. Dès décembre 1789 commence l’émission d’assignats gagés à 5 % sur les biens du clergé. En août 1790, l’intérêt étant supprimé, ils deviennent de simples billets de banque. Dès lors, cette monnaie-papier ne cesse de se dévaluer, ce qui entrave les échanges et immobilise la monnaie sonnante et trébuchante dont les détenteurs ne veulent pas se dessaisir. En 1796, les assignats ont perdu toute leur valeur. Il en résulte que les pauvres colporteurs, comme celui de Saint-Omer incapable de s’acquitter de sa patente, ne parviennent pas à vendre à cause de « la rareté de l’argent ». Leur pauvreté devient indigence. Quant aux membres des bandes de brigands, ils dérobent principalement des pièces et objets métalliques qu’ils fondent pour fabriquer de la fausse monnaie. C’est la spécialité du vieux couple Jacob, parents de Dina Jacob et beaux-parents de Caudechaud, qui, à leur domicile de Gand, recèlent les objets volés par la bande avant de les fondre, selon les aveux de leur fille. En 1795-1796, la monnaie papier est si dépréciée que la fabrication de fausse monnaie métallique ne peut être que lucrative.
Politiquement, la situation est localement déstabilisée par la guerre qui se déroule aux frontières du pays et principalement dans le Nord. Dès l’automne 1792, les Autrichiens tentent de pénétrer dans Lille qui résiste malgré un bombardement quasi continu du 29 septembre au 8 octobre, alors que les Prussiens et les Autrichiens ont été défaits à Valmy une quinzaine de jours plus tôt, le 20 septembre. La pression des armées ennemies continue à se faire sentir de l’automne 1792 à l’été 1793. La Patrie est en danger et l’on se bat aux frontières. Dunkerque est débloquée après la victoire d’Hondschoote (8 septembre 1793) et la région de Maubeuge est libérée par celle de Wattignies (15 octobre 1793), mais les Autrichiens, qui ont repris Valenciennes et ses environs en juillet 1793, n’en seront délogés qu’un an plus tard. En juillet 1795, la Belgique est annexée et les batailles se déroulent désormais loin de la région. Mais la situation politique intérieure n’est pas plus assurée : en 1793-1794 les opposants s’agitent dans tout le pays et particulièrement en Vendée. La Terreur sévit jusqu’à la chute de Robespierre le 27 juillet 1794. Pas plus que la Convention qui se sépare en octobre 1795, le Directoire ne parvient à remédier à l’instabilité et l’insécurité intérieures. Or c’est essentiellement en 1795-1796 que les deux bandes accomplissent le plus grand nombre de crimes.
Dès 1794, la frontière est devenue poreuse et les colporteurs s’aventurent en Belgique ou profitent de son occupation. Ainsi, en septembre 1794, Louis Salomon répond-il à l’enquêteur que ses biens consistent en « des marchandises pillées dans la Belgique » . Surtout, la bande à Caudechaud, initialement implantée en Belgique, peut élargir son champ d’action et sévir dans le Nord et le Pas-de-Calais. L’intrusion du grand banditisme est donc bien tributaire des événements de politique intérieure et extérieure du pays. Le centre de la bande à Caudechaud se trouve à Gand, chez le vieux couple Jacob, mais ses ramifications franchissent, en 1794-1795, une frontière qui n’existe plus.
Les malfaiteurs ont bien compris le profit qu’ils peuvent tirer de cette nouvelle situation. Les habitants de Belgique n’ont pas toujours apprécié d’être annexés par les Français. La nouvelle organisation administrative et la mise en place des départements a pu faire des mécontents. Le commissaire du pouvoir exécutif près le département de la Dyle (Bruxelles) reconnaît que l’administration des départements réunis à la France par la loi d’annexion est très perturbée et que des ennemis de la République y circulent. Les acolytes de Salembier crient « à l’émigré » lorsqu’ils sont en difficulté, afin de tromper leurs poursuivants. Et les complices de Caudechaud parviennent à soudoyer l’administration judiciaire. Dina Jacob offre notamment argent (à l’époque c’est appréciable) et cadeaux au procureur de Gand pour qu’il persuade son collègue de Tournai, circonvenu, de libérer Caudechaud, époux de Dina. De même, les témoins sont achetés : « je ferai tout ce que je voudrai des témoins, j’en viendrai à bout ; ils attesteront pour votre mari », promet le frère du procureur de Tournai à Dina Jacob. De ce fait, les recherches sont lentes et les évasions faciles, si bien que peu de malfaiteurs de cette bande sont pris. Trop faibles, les pouvoirs centraux ne parviennent pas à mettre fin à ces dérives. Les fonctionnaires soucieux de l’ordre public déplorent ce laxisme. Par exemple, le commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal correctionnel de Tournai se plaint auprès du ministre de la Police générale de la République en ces termes :
Par ma lettre du 21 thermidor dernier (8 août 1796), je vous ai informé qu’une bande à brigands et d’assassins au nombre de plus de trois cent désoloient ce pays et ceux environnans…
Depuis, je vous ai adressé beaucoup d’autres renseignements contenus dans mes lettres des 24, 25, 26, 27, 30 thermidor et premier de ce mois, et je vous ai chaque fois prié de m’instruire des devoirs que j’avois à remplir, non obstant ces vives sollicitations, je n’ai recu, citoien Ministre, aucunes instructions, et ce silence me met dans une grande anxiété.
La lettre est datée du 21 août 1796. Dès le lendemain du premier interrogatoire de Dina Jacob, il informe le ministère puis lui écrit presque quotidiennement sans obtenir ni réponse ni soutien de la part de sa hiérarchie.
Aucun de ces grands bandits n’est reconnu comme faisant partie des leurs par les communautés juives qui se mettent en place au même moment dans les principales villes du Nord et du Pas-de-Calais. Jamais lors des naissances, mariages ou décès, leurs noms ne figurent sur les actes d’état civil à titre de témoins. C’est la preuve que les Juifs honnêtes des communautés ignorent tout de leur existence, ou, s’ils ont connaissance de leurs forfaits, qu’ils se gardent bien de les fréquenter, voire contribuent à leur arrestation comme l’a fait Bamberg à Valenciennes.
L’apparition de communautés juives dans le nord du pays ne peut donc être rendue responsable d’une recrudescence de la délinquance. Bien au contraire, les Juifs appartenant à ces communautés et soupçonnés de vol ou d’escroquerie sont, pour la quasi-totalité d’entre eux, disculpés et libérés, certains avec le soutien de leurs voisins et d’amis non juifs. Les familles juives qui s’installent dans ces régions grâce aux mesures libératrices de l’émancipation ne demandent qu’à vivre en paix et à s’intégrer dans la société. Dès leur installation, elles se dotent de structures communautaires qui leur permettent de respecter la religion de leurs pères et qui, en même temps, les sécurisent en les représentant officiellement auprès des autorités. Et pour ces autorités, des structures reconnues garantissent aussi une conduite intègre de la part des colporteurs juifs.
En revanche, des indélicatesses ont pu être perpétrées par quelques-uns que la grande pauvreté fait parfois basculer dans la petite délinquance. Mais ces modestes tire-laine sont de passage dans le Nord et n’ont aucun contact avec les communautés juives nouvellement établies. Il faut aussi mesurer à sa juste importance cette délinquance qui se manifeste dans un contexte économique très défavorable et alors que nombre de non-Juifs versent eux aussi dans la petite criminalité.
Quant aux bandits invétérés et crapuleux, ils sont complètement marginaux par rapport aux communautés qui ne les connaissent pas. Ils profitent pleinement de la dégradation économique et politique du pays, ainsi que de la faiblesse des pouvoirs publics. Finalement, l’émergence de ce banditisme appartient à l’histoire de la France et non à celle du peuple juif.
Source:
Communautés juives du nord de la France et délinquance sous la Révolution Danielle Delmaire Dans Archives Juives 2011/2
CAIRN.INFO