La laideur comme redoutable outil de dévalorisation de l’être

Stigmatiser ceux que l’on n’aime pas en leur attribuants des caractères physiques repoussants qui seraient associés à des tares psychologiques et autres perversions.

 

Extrait de :

L’utilisation des préjuges esthétiques comme redoutable outil de stigmatisation du juif
La question de l’apparence dans les écrits antisémites du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle
Claudine Sagaert

 

La laideur physique comme allégorie du mal a toute une histoire. Déjà dans la Grèce antique, raisonner, débattre, se cultiver sont indissociables de la beauté physique. Le terme kalos kagathos, traduit que la beauté physique et la beauté de l’âme sont de la plus haute importance. Il renvoie ce qui est beau et bon à un certain idéal, une certaine excellence qu’implique la dimension esthétique, éthique et politique. Inversement aiskhros spécifie le laid en tant que disgracieux, difforme, mais aussi en tant que vil, honteux, infâme. De même, le terme kakos caractérise le lâche, le méchant, le laid, quant au terme kakon, il définit le mal, le vice, le laid. Cette extension des concepts de beauté et de laideur dans la sphère morale ne s’est pas limitée à la Grèce antique puisque dans le monde chrétien la beauté s’est définie comme « la forme visible du bien et la laideur la forme visible du mal. […]. Ce qui est bien est beau, ce qui est beau est bien » (Migne, 1851, p. 59). Le souligner c’est simplement insister sur le fait que l’histoire de la laideur physique porte en elle toute une herméneutique, et qu’elle n’est pas sans lien avec l’histoire de la discrimination. La laideur physique comme signe d’autre chose que d’une simple surface inesthétique a conduit bien souvent à traiter de manière infamante les êtres que l’on considérait disgracieux. Dans le Lévitique, par exemple, n’a-t-il pas été écrit que tous ceux qui ont un défaut corporel ne peuvent servir Dieu ? Cette prescription biblique a d’ailleurs été appliquée au Moyen Âge. Saint Martin, par exemple, n’a pu prétendre devenir évêque. « D’un extérieur difforme et laid de visage », certains religieux se sont opposés à sa nomination. De même en médecine, « le statut des chirurgiens au XIVe siècle a recommandé de ne prendre que des apprentis beaux et bien formés » (Héritier, 1991, p. 113). Ces arguments démontrent que la laideur physique a été le signe de toutes les autres déficiences, qu’elles soient physiologiques, intellectuelles ou morales, entraînant par là même un traitement infamant. Précisons également que si, comme l’écrit Eiximenis, il n’est pas possible de voir « d’homme beau qui ne soit bon ni de belle femme qui ne soit chaste » (Pelaez, 2000, p. 417), dans cette approche la laideur ne peut être que le signe du mal. Par là même, si on considère que tel ou tel groupe d’individus symbolise la malignité, alors il suffit d’en fabriquer la laideur physique pour que sa représentation corresponde à ce qu’il est censé incarner. Ainsi, par le biais des écrits, des sculptures, des dessins, des tableaux, des affiches ou autres images supports, il a été possible d’inscrire dans les consciences que la laideur de tel individu est proportionnelle à sa malfaisance. La sorcière en est un des paradigmes. Il suffit d’évoquer son nom pour que nous vienne à l’esprit le stéréotype même de la femme démoniaque « laide et vieille » (Michelet, 1966, p. 6), le visage fripé, les joues creuses, le nez crochu, les yeux enfoncés dans les orbites, la bouche édentée, le menton en avant, la tête couverte de cheveux filasses cachés sous un chapeau pointu. Si les femmes accusées de sorcellerie ont parfois été jeunes, belles et nullement démoniaques, pourtant le cliché a fait mémoire. L’énoncer, c’est reconnaître que la fabrication de la laideur est un redoutable outil de stigmatisation.

 

Commentaire:

Cette instrumentalisation existe-t-elle encore dans le monde moderne?
Il est aujourd’hui inconcevable d’associer la laideur à la méchanceté, la bêtise et l’immoralité.
Nous sommes suffisamment évolués pour comprendre que l’apparence physique ne dicte pas la personnalité. Il y a des bons et des mauvais  chez les « beaux » comme chez les « laids ».
Pourtant les « beaux » gardent une place privilégiée dans nos sociétés. Notamment, plus de facilité pour trouver certains emplois ou s’épanouir dans les relations sociales.
La beauté reste une force d’attraction très importante. Si ceux qui ne répondent pas à ses critères sont rarement exclus ou marginalisés, on peut admettre qu’il existe encore une hiérarchie dans la vie de tous les jours. A l’instar de la différence entre les riches et les pauvres. Être « bien né » confère encore beaucoup d’avantages.