Les juifs orthodoxes du XXI ème siècle sont-ils plus archaïques que leurs ancêtres ?

Réflexion de Yuval Harari dans « 21 leçons pour le XXIe siècle »

Nous soulignons que nos valeurs sont un héritage précieux de nos ancêtres de l’Antiquité. Or, la seule chose qui nous permette de le dire, c’est que nos ancêtres sont morts depuis longtemps et ne sauraient parler par eux-mêmes. Prenons, par exemple, l’attitude des Juifs envers les femmes. De nos jours, les ultra-orthodoxes bannissent les images des femmes de la sphère publique. Les panneaux d’affichage et les publicités visant les Juifs ultra-orthodoxes ne représentent habituellement que des hommes et des garçons, jamais des femmes et des filles.

En 2011, un scandale a éclaté quand un journal ultra-orthodoxe de Brooklyn, Di Tzeitung, publia une photo d’officiels américains observant le raid sur la redoute d’Oussama ben Laden, mais en prenant soin d’effacer digitalement toutes les femmes, dont la secrétaire d’État Hillary Clinton. Le journal expliqua y être obligé par les « lois de la pudeur » juives. Un scandale identique éclata quand le journal HaMevaseré élimina Angela Merkel d’une photo de la manifestation contre le massacre de Charlie Hebdo, de crainte que son image n’éveille des pensées lubriques dans l’esprit des lecteurs dévots. L’éditeur d’un troisième journal ultra-orthodoxe, Hamodia, justifia cette politique en expliquant: « Nous avons des millénaires de tradition juive derrière nous. »

L’interdit de voir des femmes n’est nulle part plus strict qu’à la synagogue. Dans les synagogues orthodoxes, les femmes sont soigneusement séparées des hommes et cantonnés dans une zone restreinte où elles sont cachées derrière un rideau en sorte qu’aucun homme ne puisse voir par accident une silhouette féminine quand il dit ses prières ou lit les Écritures. Or, si tout cela est étayé par des millénaires de tradition juive et des lois divines immuables, comment expliquer qu’en Israël, fouillant des synagogues de l’époque de la Mishnah et du Talmud, les archéologues n’aient trouvé aucun signe de séparation des sexes, mais plutôt de belles mosaïques au sol et des peintures murales avec des femmes parfois à peine vêtues ? Alors que les rabbis qui ont couché par écrit la Mishnah et le Talmud priaient et étudiaient régulièrement dans ces synagogues, les Juifs orthodoxes actuels y verraient une profanation blasphématoire de traditions antiques.
Notons que de semblables distorsions des traditions anciennes caractérisent toutes les religions.