Les valeurs du Kibboutz, noblesse oblige : le travail manuel et intellectuel

La vie au Kibboutz et l’équilibre entre le travail intellectuel et le travail physique.

Pour les intellectuels du kibboutz, servir au réfectoire ou faire la plonge était une question d’honneur, noblesse oblige, dira l’historien Yehuda Bauer qui a longtemps vécu dans un kibboutz du sud d’Israël.

 

Extrait du livre « Wilno-Jerusalem: la figure légendaire d’Abba Kovner.

 

Sur le plan personnel, Kovner aimait son Kibboutz de tout son coeur.
Il aimait la chaleur et la solidarité qui régnait entre ses membres, pour le meilleur comme pour le pire. « J’ai un foyer, une femme , des enfants, un citronnier et des vaches qui donnent plus de lait que toutes les vaches du monde, et une pelouse, une magnifique pelouse. Et je sais avec une absolue certitude que j’appartiens à ce lieu », écrit-il dans Sur le pont étroit.
Kovner espérait aussi qu’Ein Hakhoresh deviendrait une source d’inspiration pour sa poésie, aussi naturelle et authentique que pour ses amis poètes nés dans le pays, qu’il va envier à cet égard pendant des années. Dans son premier poème sur les vignes, dont le jus se transformait en sang, il interrogeait : « Pourquoi, mes amis, ma poésie est-elle différente de la vôtre ?  » Pourquoi a-t-elle un goût de cendres ? » Mais, peu à peu, d’un recueil à l’autre, la nature et les paysages qui l’entourent commenceront à couler dans ses vers et à fusionner avec la Wilno de sa jeunesse.

Toujours aussi angoissé à l’idée que les kibboutzniks ne deviennent peu à peu étrangers les uns aux autres, il décide un beau matin que tous devraient se saluer en se disant shalom, même s’ils croisaient plusieurs fois par jour.
À ses yeux, ces petits rituels à priori anodins étaient essentiels au renouvellement quotidien de la cohésion communautaire. Pendant la campagne du Sinaï en 1956 comme pendant la guerre des Six-Jours, alors que lui-même est nommé commandant du secteur, il met également sur pied une sorte d’état-major du kibboutz et divise les « troupes » de Ein Hakhoresh en plusieurs « bataillons », chacun se voyant assigné des tâches spécifiques (tours de garde, entretien des armes, etc.).

Étant donné que Kovner voyageait beaucoup, en Israël comme à l’étranger, il ne travaillait au kibboutz qu’à mi-temps. Jusqu’à la fin des années 1960, il passait ses matinées dans les vignobles et ses après-midi à écrire et concevoir ses musées. Plus tard, il travaillera trois jours par semaine, tantôt aux champs, tantôt comme homme à tout faire, réparant les systèmes d’irrigation ou les canalisations, et repeignant les façades. Un jour, il a même l’idée de repeindre chacune des maisons d’une couleur différente, mais le conseil du Kibboutz mettra son véto. Il travaille aussi aux cuisines ou à la salle à manger, autant de tâches qui auraient pu être exécutées par d’autres, mais auxquelles ils tenaient absolument. Il portait du reste une grande attention aux moindres détails, se souvenant des plats préférés de tel ou tel, et attendait ceux qui rentraient tard des champs, réchauffait leur repas et les servait lui-même à table avec un tablier toujours impeccable.

Pour les intellectuels du kibboutz, servir au réfectoire ou faire la plonge était une question d’honneur, noblesse oblige, dira l’historien Yehuda Bauer qui a longtemps vécu dans un kibboutz du sud d’Israël. Pour Abba, tout cela était indispensable au respect de soi et des autres. Il n’était pas question de chercher à s’y soustraire ou de réclamer quelque privilège au nom de sa stature  et de sa notoriété : chaque fois, il s’y consacrait entièrement, comme on accomplit une mission, il y engageait toute sa force et toute son énergie.
Un jour, après une réunion à Tel-Aviv, il insista pour rentrer le soir même au kibboutz même s’il devait manquer le dernier bus, ce qui signifiait qu’il allait devoir marcher plusieurs kilomètres sous une pluie battante, car il devait prendre son service le lendemain matin au réfectoire. Il a par ailleurs tenu lieu de secrétaire général du kibboutz pendant un temps, adorait emmener les scouts de la Jeune Garde en promenade et leur organiser toutes sortes de jeux et d’activités – une expérience dont ils se souviennent encore. Kovner trouvait un équilibre dans cette alternance – trois jours de travail intellectuel et trois jours de travail physique – , même si, avec lui, il n’y avait jamais d’horaires fixes pour quoi que ce soit, dit sa fille Shlomit, la soeur cadette de Michael (fils de Kovner), née en 1956.

Le Juif qui savait. Wilno-Jerusalem: la figure légendaire d’Abba Kovner.
Dina Porat.