La logique destructrice de la négation de l’identité
Comment en finir avec un peuple ?
La méthode la plus violente consiste à exterminer ce peuple par la force.
Les exemples de génocides sont hélas légion. Les Juifs ont eu la Shoah.
Pourtant, il est possible d’éliminer de façon plus subtile un peuple. Très simplement et sous couvert de bienveillance, en niant son identité tout en prônant les vertus de l’assimilation. Si on peut reconnaitre les bonnes intentions des assimilationnistes, le danger de disparition du peuple est bien réel.
Pour illustrer cette réflexion, voici l’extrait d’un article de Katya Gibel Mevorach, professeure d’anthropologie et d’études américaines, juive et noire.
L’assimilation des Juifs aux États-Unis, cependant, ne fut jamais tout à fait semblable à celle des autres immigrants européens ; même distendu, le lien demeure avec leur passé sur ce continent où l’Émancipation conduisit la diaspora de l’Occident chrétien à un dilemme. Souvenons-nous du comte de Clermont-Tonnerre, membre de la Constituante, qui proclama en 1789 : « Aux Juifs, en tant que nation, il faut tout refuser ; mais aux Juifs, en tant qu’hommes, il faut tout accorder. » La réfutation la plus éloquente de cette attitude vint par la suite de Ber Borochov, l’un des premiers Juifs russes sionistes à appliquer l’analyse marxiste aux Juifs d’Europe : « La mort et le suicide sont les plus radicales des solutions au problème juif. S’il n’y avait plus de Juifs, il n’y aurait plus de problème… Aucun homme d’État honnête, aucun idéaliste n’a jamais essayé de résoudre la question polonaise, par exemple, en suggérant que le peuple polonais devrait cesser d’exister… C’est à nous seuls, Juifs, que des “médecins” autoproclamés ont eu l’audace, l’indécence, de prêcher le suicide national. »
Près d’un siècle plus tard, Lewis Gordon, un philosophe noir américain dont le grand-père maternel était issu d’un couple mi-africain mi-juif, abordait avec éloquence une question de même ordre :
« Les Noirs ont-ils le droit d’exister ? Aucun groupe d’êtres humains, à ma connaissance, n’aurait réponse qui tienne face à une question aussi biaisée. Question biaisée, car elle joue sur ce fait brut : en soi, l’existence ne justifie rien de plus que le choix pour une personne de continuer, ou d’en venir à cet aveu d’échec, le suicide. On voit donc bien la nature oppressante d’une telle demande. Pourtant, les Noirs y sont confrontés jour après jour. Être noir, aux États-Unis, c’est être constamment sommé de justifier le fait d’être encore là. Pour les Noirs américains, le legs politique de l’esclavage, des lois anti-métissage et de la discrimination raciale a conféré à la race un sens de vécu social qu’aucune personne de couleur, et aucun Noir en particulier, ne saurait tout à fait ignorer. La pigmentation, dans une Amérique sensible à la couleur, marque encore chaque jour une différence cruciale dans le vécu viscéral de la plupart des Juifs et des Afro-Américains.»
Source :
https://www.cairn.info/revue-pardes-2008-1-page-119.htm