Un monstre humain?

 

crime

 

« Un monstre humain? » est un livre écrit par David Puaud. Il raconte la vie du jeune Jason Caillaud avant qu’il n’assassine sauvagement avec son ami Jimmy Lemaitre, Philippe Reniche, ancien choriste du célèbre groupe de rock français, les Béruriers Noirs. Notons que l’auteur connaissait très bien Jason Caillaud avant le drame car il était son éducateur.
Ce crime particulièrement sordide a été relativement peu médiatisé.

Rappel des faits: en aout 2007, Jason Caillaud et Jimmy Lemaître rentrent en voiture de discothèque. Ils croisent la route de Philippe Reniche qui faisait du stop. Ils s’étaient déjà vus dans la discothèque mais ne se connaissaient pas.
Les deux amis invitent Reniche à monter dans la voiture. Puis basculent dans la violence, sans même avoir besoin de se parler. Les premiers coups pleuvent, et la victime atterrit dans le coffre. On lui soutire sa carte bleue, mais cela ne suffit pas. Les voilà donc qui passent au domicile de Jimmy Lemaître pour y chercher une pelle. Estimant qu’ils ont atteint « le point de non-retour », ils sont décidés à « crever » ce passager trop encombrant. L’agonie de Philippe Reniche prendra fin au petit jour dans un chemin de terre. Doigts écrasés, émasculation partielle et coups de pelle au niveau du cou, l’atrocité atteint son comble. Pendant que Jason Caillaud s’acharne et force Reniche à creuser sa propre tombe, Lemaître fume une cigarette. Ils finiront par lui casser les dents à coups de poings et à le brûler pour empêcher toute identification.(source Le Parisien).
Arrêtés et jugés, ils seront condamnés à la perpétuité. Le crime reste à l’heure actuelle sans mobile. Il est totalement gratuit.

Dans « Un monstre humain? », David Puaud tente de comprendre, sans l’expliquer, ni encore moins l’excuser, le passage à l’acte de Jason Caillaud. Il suggère que ce crime a un lien avec son passé chaotique dans un quartier populaire de Châtellerault. 
Effectivement, on y apprend qu’il a vécu une longue galère sur un plan familial et personnel. Cette rage accumulée durant plusieurs années se serait déversée sur Philippe Reniche qui n’aurait été que l’objet de ce déferlement de haine. 
David Puaud tente de déconstruire l’idée d’un « monstre humain » véhiculée par les tribunaux et les experts. Il considère que l’accusé reste un être sensible et humain. Il en apporte pour preuves certaines bonnes actions de Jason envers ses amis ou des membres de sa famille.

Ce livre m’a laissé une impression mitigée. Je suis d’abord satisfait de l’avoir lu car il apporte de nombreux éclairages sur une affaire qui a été peu médiatisée (il n’est pas inutile de rappeler qu’elle s’est déroulée près d’un an après l’affaire Ilan Halimi). 
J’ai ressenti aussi de l’agacement. Car l’auteur, qui était aussi l’éducateur du meurtrier (il a d’ailleurs témoigné à son procès) ne semble jamais s’opposer à lui. Il s’investit beaucoup pour l’aider en facilitant notamment ses démarches dans sa recherche d’emploi et de logement. Mais il constate ses dérives, ses échecs, sans dénoncer les violences qu’ils exercent contre les autres (vols, agressions, menaces…). Son empathie avant et après le crime parait presque indécente. C’est celle du spectateur trop passif qui n’agit pas pour empêcher ce qui lui apparait peut être comme une fatalité.
Plus dérangeant encore, il ne cache pas une certaine admiration, même teintée de dégout, pour ce jeune délinquant.

Ensuite, je n’ai pas l’impression que ce livre m’ait aidé à comprendre ce crime. Il m’a seulement éclairé sur son contexte socio-économique. Je ne parviens pas à établir un rapport de causes à effets entre la vie même chaotique de Jason Caillaud et ce passage à l’acte abominable. S’il a déjà commis de nombreux actes délictueux, plus ou moins graves avant les faits, rien ne semblait le prédisposer à une violence aussi extrême Peut-être que celui ci a été favorisé par la drogue et l’alcool que les deux bourreaux avaient consommé en grande quantité la nuit du meurtre…

En revanche, certaines analyses sont intéressantes, qu’elles émanent de l’auteur ou des experts dont il relate les conclusions. 
Notamment sur la probable dimension homosexuelle de la torture précédent l’exécution finale…L’émasculation de Reniche en serait l’illustration.
J’ai également bien aimé le chapitre intitulé « une victime alter-égo », expliquant que la victime et son bourreau avait des points communs, même s’il ne s’agit surtout pas d’inverser les rôles. Car Philippe Reniche était aussi un marginal, sans emploi fixe et ayant commis des actes de délinquance (au moment des faits, il était sous bracelet électronique après avoir été condamné pour conduite en état d’ivresse). Si le crime reste gratuit, la victime semble être en quelque sorte l’image dans le miroir de son bourreau (Caillaud fait d’ailleurs un rêve récurrent où il se trouve à la place de Reniche).

Intéressant, quoique qu’anecdotique, d’apprendre qu’en prison, Jason Caillaud s’est converti à l’Islam. Pour trouver la foi et expier ses pêches comme le suggère David Puaud? Ou alors pour sortir de son isolement dans un univers impitoyable à l’intérieur duquel il est obligatoire d’appartenir à une groupe pour survivre?

Je me suis également interrogé sur les motivations de David Puaud dans l’écriture de ce livre. Il nous révèle à la fin que ce drame fait écho à son histoire personnelle, notamment à un événement traumatisant qu’il a vécu dans sa jeunesse. 
Mais au delà de celui-ci, David Puaud n’éprouverait-il pas une certaine responsabilité dans cette tragédie. Si rien ne le laisse supposer dans le livre, il est important de rappeler qu’il était l’éducateur de Jason jusqu’à ce qu’il commette l’irréparable. A-t-il vécu cela comme un échec personnel? Lui seul le sait.

En outre, la démarche de l’auteur qui est aussi docteur en anthropologie sociale et ethnologie, pose question. Car beaucoup de spécialistes mettent en avant des facteurs sociaux et économiques pour tenter de comprendre la criminalité, même quand rien ne semble plus pouvoir l’expliquer.

Pour finir, je tiens à féliciter David Puaud pour son oeuvre remarquable, fruit de 10 ans de recherches. Ne pas être d’accord avec l’approche et les analyses d’un spécialiste ne doit pas empêcher de reconnaitre la qualité de son travail.
J’invite chacun à lire son livre afin de se forger sa propre opinion.

http://www.editionsladecouverte.fr/…/index-Un_monstre_humai…

Crédit de la photo: Slate