Comment les Ashkénazes accueillirent les Séfarades dans les années 50/60 en France ?

Extrait de :
Marais gay, Marais juif: Pour une théorie queer de la communauté
David Caron


Inutile de dire que les que les Séfarades furent accueillis par les Ashkénazes de vieille souche par un mélange d’appréhension et de curiosité. À l’époque coloniale, les juifs français qui étaient en contact avec les Nord-Africains se chargèrent de leur propre mission civilisatrice et prêchèrent les valeurs de l’émancipation à une population qu’ils percevaient comme arriérée et archaïque. Ils avaient d’ailleurs accueilli les juifs européens de la même manière. Mais dans les années 1950, les juifs français, assommés par la Shoah, n’étaient plus dans la position culturelle d’imposer leurs valeurs à qui que ce soit. Ce furent bien plutôt les Séfarades qui apportèrent à la communauté française épuisée une promesse de renouveau. À la différence de leurs alter ego plus intégrés de l’Europe de l’ouest, nombre d’entre eux avaient vécu dans des communautés plus étroites, plus homogènes, et même s’ils n’étaient pas nécessairement plus religieux, ils possédaient un sens aigu de leur identité ethnique et culturelle libre de toute allégeance nationale. Aux yeux des Ashkénazes, plus distants, ils semblaient bruyants, exubérants et terriblement ostentatoires. Ils parlaient le français et le judéo-arabe, mais bien sûr pas le yiddish. Ils s’habillaient, mangeaient et priaient différemment. Mais, pour finir, leur énergie communicative prit le dessus et les deux communautés se mélangèrent harmonieusement. Plus important encore, les séfarades qui constituent maintenant la majorité, transformèrent les juifs de France en profondeur. En 1967, quand la guerre des Six Jours les unit dans leur solidarité pour Israël, ils étaient devenus une communauté dynamique et affirmée, toujours fidèles aux idéaux républicains de l’émancipation mais aussi plus religieux et plus conscients d’eux-mêmes qu’avant.