Les raclées mémorables infligées par la mafia juive aux nazis américains dans les années 30

Extrait du livre de Rich Cohen, Yiddish Connection

 

Les gangsters, qui se souciaient surtout de s’enrichir, savaient que certaines choses n’avaient pas trait à l’argent. Ils savaient que la seule manière de se confronter aux nazis, c’était de les affronter dans la rue. Non seulement cette clairvoyance leur gagnerait l’admiration des gamins comme mon père, mais elle comportait également un solide fondement intellectuel : il est difficile, pour un homme qui vient de se faire éclater la lèvre de se prendre pour un surhomme. « Nous savions comment les manier, explique Meyer Lansky à Uri Dan. Les Italiens que je connaissais nous offraient leur aide, mais c’était une affaire de fierté. Je n’aurais pas accepté. Je dois dire que cela m’a plu de rosser des nazis. À certains moments, nous avons réservé à certains grands antisémites un traitement très spécial, mais le point capital, c’était de leur fait comprendre qu’il n’était pas question d’expédier les Juifs à coup de pied. »

En effet, au milieu des années trente, des groupes pronazis commencèrent à s’organiser sur le territoire américain. Alimentés par un antisémitisme enragé, ils s’intitulaient par exemple le German American Bund. « Une organisation pronazie qui propagea des slogans antisémites, poursuit Lansky. Ils paradaient ici ou là et lançaient des menaces, comme de jeter tous les Juifs dans des camps de concentration. »En 1939, le mouvement nazi américain était suffisamment fort pour attirer vingt-huit mille personnes lors d’un meeting au Madison Square Garden. « J’avais toujours été très sensible à l’antisémitisme, mais au cours de ces années-là, d’autres que moi commencèrent à s’inquiéter, rappelle Lansky. D’importantes personnalités WASP, comme nous les appelions désormais, émirent des déclarations ouvertement antisémites, et certains magazines, certains quotidiens les soutenaient. Cela inquiétait les dirigeants juifs, y compris les plus respectés de tous, le rabbin Stephen Wise. Il envoya un message me priant de faire quelque chose pour contrecarrer ce dangereux courant. Un autre dirigeant de la communauté juive, et qui s’inquiétait lui aussi, était un juge respecté de New York, membre éminent du Parti républicain. Nous nous connaissions et, un jour de 1935, il est venu me voir pour me déclarer : « Le nazisme est en train de prospérer aux USA. Les membres du German American Bund n’ont pas honte de tenir des meetings dans les endroits les plus publics. Nous autres Juifs devrions être plus militants. Meyer, nous voulons développer une action contre ces sympathisants des nazis. Nous mettrons de l’argent et un soutien juridique à votre disposition, quels que soient vos besoins. Pouvez-vous organiser la partie militante des choses pour nous? »

manifestation


Quand ce printemps-là les nazis tinrent un meeting à Yorkville, un quartier allemand de l’Upper East Side, Lansky intervint sur les lieux, flanqué de quelques amis. Au fur et à mesure qu’ils approchaient du lieu de la réunion, ils devaient avoir l’impression de débarquer en plein Berlin, avec la panoplie complète des ricanements, des svastikas, des bras tendus et des bottes montantes, des drapeaux nazis claquant au vent. « Nous avons découvert là plusieurs centaines de personnes en chemise brune, se souvenait Lansky. Le podium était décoré de photos de Hitler. Les orateurs commencèrent à déclamer. Nous n’étions qu’une quinzaine, mais nous sommes passés à l’action. Nous les avons attaqués dans la salle et en avons balancé  quelques-uns par les fenêtres. Il y a eu des échanges de coups de poing un peu dans tous les coins. La plupart des nazis ont paniqué et détalé. Nous les avons pourchassés et passés à tabac, certains d’entre eux furent hors d’état de nuire pendant quelques mois. Oui c’était de la violence. Nous voulions leur donner une leçon. Nous voulions leur montrer que les Juifs n’allaient pas indéfiniment rester plantés là, en acceptant de se faire insulter. »

Dans l’ouest du pays, des gâchettes comme Mickey Cohen, poids mouche pugnace, un gangster qui s’était fait un nom en qualité de garde du corps de Bugsy Siegel livraient des batailles similaires. Alors que Cohen purgeait une peine de prison en Arizona, un sympathisant nazi déclaré nommé Robert Noble fut placé dans la cellule voisine de la sienne. Cohen, qui avait lu dans la presse des comptes rendus de ses tirades, graissa la patte des gardiens pour qu’ils le placent seul dans une cellule avec Noble et son acolyte nazi. « Tout à coup, la porte s’ouvre à l’autre bout et Noble fait son entrée, avec ce type à ses côtés; ces deux nazis qui haïssaient le Général MacArthur, écrit Cohen dans son autobiographie, In my Own Words. C’était de vrais salopards, des fouines. Je les ai empoignés tous les deux et j’ai commencé par cogner leurs têtes l’une contre l’autre. À les voir, on aurait pu croire qu’ils s’étaient bagarrés, mais en réalité, non ils n’y étaient pour rien. Donc je les nettoie comme il faut tous les deux. Le clou, c’est quand ils se sont mis à grimper aux barreaux. Moi, j’ai essayé de les faire redescendre. Ils crient, ils beuglent tant et si bien que tout les monde s’imagine une émeute. Après quoi, lorsque cette histoire a été connue, j’ai reçu des appels au secours de la part de gens comme la Writer’s Guild (la Guilde des écrivains) pour que leur vienne en aide contre ces salopards de nazis. Une fois, un juge a fait appel à moi avant un meeting du Bund nazi. Je lui ai dit d’accord, ne vous faites pas de souci. Alors nous nous sommes rendus là-bas et nous avons attrapé tout ce qui se trouvait en vue – tous les écriteaux à la con – et on leur a démonté la tête avec, et après on leur a mis tout ça en morceaux, du mieux qu’on a pu. Personne ne pouvait me payer pour ce boulot. Il y a jamais un sou nulle part pour acheter ce genre de geste. »