Ces mots que l’on ne peut plus prononcer

Il y a des choses que l’on ne peut pas nommer. Il n’y a des actions que l’on ne peut pas réaliser car l’usage de leur nom est interdit.

Parlons du mot « RAFLE ». Il fait obligatoirement référence à la terrible rafle du Vel d’Hiv dans la France de Vichy. C’était la plus grande arrestation massive de Juifs réalisée en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre les 16 et 17 juillet 1942 plus de 13 000 personnes, dont près d’un tiers étaient des enfants, ont été arrêtées à Paris et en banlieue pour être déportées : moins d’une centaine reviendront.

Intéressons nous maintenant à la définition du mot rafle: Une rafle est une opération policière d’interpellation et d’arrestation de masse de personnes prises au hasard sur la voie publique ou visant une population particulière. Pour garantir le succès de l’opération, les organisateurs comptent particulièrement sur l’effet de surprise afin de limiter au maximum les possibilités d’y échapper. Sur le plan légal, la rafle est d’ordre administratif et placée sous le contrôle de l’autorité politique.
Si la rafle du Vel d’Hiv est la plus tristement célèbre en France, elle n’est pas exclusive. En effet, afin de lutter contre l’indépendance de l’Algérie qui se dessine entre 1958 et 1962, le gouvernement de l’époque permet des interpellations à plus grande échelle : plusieurs rafles ont lieu à Paris, mais aussi à Alger. Plus récemment, en Algérie justement, le mot rafle a été employé pour désigner l’opération déclenchée le 1er décembre 2016 à Alger, au cours de laquelle tous les quartiers où vivent les migrants subsahariens ont été encerclés par la police.
Il existe aussi une utilisation plus moderne et sans référence historique du mot rafle. Le terme de rafle est repris aujourd’hui lorsque la police médiatise une opération destinée à combattre la pédophilie sur internet. Le mode opératoire adopté est d’intervenir en semaine à 6 heures, heure légale d’intervention pour perquisition et arrestation. La surveillance des activités d’internautes a permis également de surprendre des téléchargements illégaux de films et rendre possible la rafle des contrefacteurs.

Pourquoi ces références et ces définitions?
Imaginons que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, une opération policière de très grande ampleur se déroule dans de nombreux quartiers populaires de banlieue. Il est inconcevable que le gouvernement parle de rafle bien que la nature de l’opération réponde parfaitement à cette définition. Pour des raisons historiques et affectives, il est moralement interdit de nommer clairement l’action menée.
Mais on peut aller encore plus loin. Il est tout à fait possible que malgré sa nécessité, l’opération ne puisse être menée, justement parce qu’elle risquerait d’être qualifiée de rafle (ce qu’elle est…). Cette appellation provoquerait un tollé et des réactions de terreur et d’hostilité, auxquelles ne se risquerait actuellement aucun gouvernement français. Non seulement le mot rafle ne peut pas être employé par ceux qui l’organisent, mais l’action elle-même ne peut pas être menée car elle serait justement nommée avec le mot interdit. L’usage du mot n’est permis qu’à ceux qui désigne une action qui ne peut paradoxalement pas être réalisée à cause du nom qu’elle porte…
Cela montre le poids inhibant de l’histoire. Car c’est le régime de Vichy qui est condamnable d’avoir utilisé des moyens légaux pour appliquer une politique antisémite et collaborationniste. De même que la police de Pétain était coupable d’être au service de cette même politique. Ce n’est pas l’institution en soi qui est blâmable. Pourtant aujourd’hui, certains jouent encore de cette confusion en amalgamant toute action policière à la résurgence du fascisme.
Pour avancer, la France doit impérativement tirer les leçons de son histoire, sans restée enchainée à celle-ci.